Saint Yves et l’abbaye prémontrée de Beauport près de Paimpol. Les Prémontrés fêtent leurs 900 ans d’existence.

L’ordre de Prémontré célèbre cette année le neuvième centenaire de sa fondation par saint Norbert en 1121 dans une vallée de la forêt de Saint-Gobain dans le diocèse de Laon/Soissons.

Le site des évêques de France évoque une spiritualité qui défie les épreuves et les siècles, par une rencontre avec Frère Dominique-Marie Dauzet, o.praem., auteur de L’ordre de Prémontré – Neuf cents ans d’histoire, Éd. Salvator.

Sur KTO, Prémontrés : 900 ans de souffle évangéliquehttps://youtu.be/pFNi5wLwDQ0?t=8

Le site d’Aleteia a aussi interviewé Frère Dominique-Marie Dauzet, o.praem.

(Image libre de droit Creative Commons license)

Y a-t-il eu un âge d’or de l’ordre ? Au XIIIe siècle, assurément. L’ordre comptait 600 à 700 communautés, jusqu’en Terre sainte. À l’époque, toute l’Europe est monastique. Les prémontrés sont très présents en Europe du Nord, Cîteaux davantage au Sud. Certaines abbayes abritent 200 chanoines, on a même parlé de 1000 pour certaines, mais le nombre moyen de frères par abbaye est plutôt de l’ordre de vingt à trente.

Pour aller plus loin :

https://eglise.catholique.fr/guide-eglise-catholique-france/la-vie-consacree/516121-les-premontres-sont-des-tout-terrains-au-service-de-leglise/?utm_campaign=NL%202021-06-03&utm_medium=email&utm_source=Mailjet

https://fr.aleteia.org/2021/06/06/les-premontres-ordre-unique-dans-leglise-fetent-ses-900-ans/?utm_campaign=NL_fr&utm_content=NL_fr&utm_medium=mail&utm_source=daily_newsletter

C’est justement au début du XIIIe siècle, en 1202, qu’est fondée l’abbaye prémontrée de  Beauport près de Paimpol.

Abbaye de Beauport (photos (Co) Daniel Giacobi)

L’abbaye de Beauport est citée 5 fois dans le Procès de canonisation de saint Yves qui a lieu à Tréguier en 1330 à l’Hôtel Tournemine.

Vite, les parents d’Yves ont remarqué son esprit vif.  Ils décident de l’assister d’un précepteur, un professeur particulier, il a à peine 17 ans et Yves 7. C’est Jean de Kerch’oz, de Pleubian, dont le manoir est près de Kerbors. Il lui enseigne les bases des Humanités et l’accompagne auprès des recteurs réputés pour leur savoir à Louannec et Pleubian ou chez les moines de Beauport dont la bibliothèque est impressionnante.

Après un échec dans l’île de Saint-Riom, Alain d’Avaugour, Comte de Goëlo, de Tréguier et de Guingamp, fait appel en 1202 aux chanoines de Prémontré. Il leur offre le lieu-dit de Beauport près de Kérity pour y construire leur abbaye. Il lui accorde divers droits comme le droit de mesurage des grains à Paimpol, les dîmes de plusieurs moulins. La communauté s’installe dans le grand rendez-vous de chasse du comte, « le bâtiment du Duc ». En raison des nombreux dons en espèces ou biens des nobles et notables, des plus humbles en heures de travail, la construction avance très vite. Vers 1250, à la naissance de saint Yves, les principaux bâtiments sont édifiés sauf le grand réfectoire achevé en 1269, après le départ d’Yves pour Paris.

L’ordre des Prémontrés a été fondé par saint Norbert, né près de Cologne en 1080. En 1121 il s’installe à Prémontré avec 30 compagnons dans le diocèse de Laon/Soissons. Face aux mœurs dissolues du clergé d’alors, il veut former des prêtres instruits, zélés et vivant en commun à la manière des moines, on parle de « chanoines réguliers » vivant selon la Règle de Saint Augustin et assurant aussi la prédication et l’administration des sacrements dans les paroisses qu’ils ont en charge par exemple tout autour de Paimpol. Leur habit est de laine écrue avec un manteau ou chape, noir.

Un vitrail de l’Église Notre Dame de Bonne Nouvelle de Paimpol montre saint Yves habillé en prémontré.

L’Eucharistie est au centre de la vie journalière des premiers frères et ils ont une grande dévotion pour Notre-Dame choisie comme patronne. Cela a beaucoup marqué saint Yves qui leur a aussi emprunté l’habit écru.

Ils sont très appréciés dans les paroisses, Blezvenna Gasqueder, de la cité de Tréguier, âgée de 60 ans, témoin 130, évoque Yves Loke, de la paroisse de Tréguier, devenu moine à Beauport.    

Pour leur instruction, les chanoines de Beauport disposent d’une riche bibliothèque de manuscrits dans laquelle Yves accompagné de Jean de Kerchoz vient puiser. Il y a lu la vie de saint Norbert et les vies des saints fondateurs de l’Église en Bretagne (les vitae).

Mais pour se rendre à Beauport, la route est longue et jusqu’aux années 1830-1840 il n’y a pas de pont.  Yves doit pour traverser les rias du Jaudy et du Trieux, prendre des bacs dont les traversées dépendent des marées. Diriger un bac chargé en coupant le courant exige maîtrise et compétence de la part des passeurs, elles sont transmises de de père en fils. Pour manœuvrer on utilise de longues perches ou des câbles et des ancres. Yves doit prendre deux bacs, sous Minihy le bac de Kerscarbot (aussi appelé bac saint Yves) qui le débarque dans la crique de Kerhir, paroisse de Trédarzec, un sentier abrupt rejoint la route de Paimpol jusqu’au 2nd bac du Goëlo pour traverser le Trieux à hauteur du pont actuel. Il y a eu là une chapelle dédiée à saint Christophe, le « patron des voyageurs ».  Le site du “bac de saint Yves”  à Minihy-Tréguier (photo (Co) Daniel Giacobi)

La route est longue, la tradition a retenu la localisation de pierres sur lesquelles Yves se serait reposé. Aussi Yves reste plusieurs jours à Beauport et y tisse des liens d’amitié avec les moines. On sait que l’abbé de Beauport est aux côtés d’Yves à la fin de sa vie. Le témoin 52, Sibille, veuve de Raymond de Gressilh, de La Roche-Derrien, âgée de 55 ans, raconte : « J’allais trouver dom Yves à Ker Martin car il était mon confesseur. C’était le mercredi avant l’Ascension du Seigneur, il y a 27 ans  (en 1303). Je trouvai dom Yves dans sa chapelle … car il avait célébré la messe. Il était si faible et si malade qu’il pouvait à peine se tenir debout. L’abbé de Beauport et le seigneur Alain Le Bruc, archidiacre de Tréguier, le soutenaient. »

Deux témoignages (204 et 205) montrent que la réputation de sainteté d’Yves est grande chez les moines de Beauport. Frère André (Le Fébur), abbé du monastère de la Bienheureuse Marie de Beau Port, de l’Ordre des Prémontrés, diocèse de Saint-Brieuc, âgé de 60 ans, raconte : « Un jour, je me rendais de mon abbaye à Saint-Brieuc. Je rencontrai Henri Anger d’Anglesqueville, diocèse de Coutances, qui faisait route sur ses deux béquilles. Il me salua en français. L’entendant parler cette langue, je lui demandais d’où il était : « Je suis de Normandie, dit-il ». Je lui demandai alors où il allait. Il se rendait, me dit-il, en pèlerinage à Tréguier vers le Bienheureux Yves.»

Neuf jours après, ce même Henri vint à l’abbaye, et je le vis : « J’ai vu, lui dis-je, un homme qui vous ressemblait. Il gagnait Tréguier sur deux béquilles pour aller trouver le Bienheureux Yves, alors que je me rendais à Saint-Brieuc » – « Je suis celui-là, me répondit-il » – « Où sont donc vos béquilles ? » – « Je les ai laissées à Tréguier, au tombeau de saint Yves. Et il me montra ses doigts. Et j’ai été ni plus ni moins guéri, dit-il, par la grâce de Dieu et en vertu des mérites de saint Yves » … Cela se passait après Pâques … et 21 ans (1309) se sont écoulés depuis. Je crois qu’il doit sa guérison et sa délivrance aux mérites de saint Yves. Cela est de notoriété publique dans l’abbaye de Beau Port, dans la ville de Tréguier, et dans les lieux circonvoisins ».

Frère Robert, dit Le Fournier, (témoin 205) chanoine de l’abbaye de Beauport, âgé de 55 ans, confirme le témoignage de son abbé, car Henri s’est arrêté à l’abbaye où on accueillait les pauvres, les malades et les pèlerins. « Henri Anger … est venu un jour à l’abbaye de Beau Port, boiteux et impotent … et il avait les nerfs des mains tout incurvés à force de porter ses béquilles. Il est resté deux jours à l’abbaye. Ensuite il est parti en pèlerinage à saint Yves de Tréguier. C’est là qu’il a été délivré, guéri, et qu’il a laissé ses béquilles. Par la suite je l’ai vu dans l’abbaye remis, guéri grâce aux mérites de saint Yves, comme il me l’a assuré lui-même. … Il a quitté l’abbaye dans la joie et l’allégresse…»

Les Commissaires enquêteurs ont attesté ceci dans le Procès de canonisation : « Nous avons vu 27 bateaux (ils avaient l’air d’être en argent, haut suspendus) … et 90 bateaux en cire et beaucoup d’autres reproductions en cire, de têtes, d’yeux, de mains, de bras, de jambes et de pieds, et aussi de nombreux suaires, des seins en cire, des béquilles en bois, et beaucoup d’autres objets votifs en cire posés ou suspendus tout autour du tombeau. Ces objets se trouvaient là, à l’évidence, et on le disait publiquement, en signe et en souvenir des miracles accomplis là-même un jour à l’invocation de dom Yves lui-même. »

Frère André, abbé du monastère de Beauport, donne aussi un témoignage personnel : « J’avais une fièvre continue et je m’attendais à mourir. Alors j’ai dit : «Saint Yves, je me voue * à vous, et je vous demande de prier Dieu pour moi, de façon qu’il me donne la santé». …Et tout de suite me vint un hoquet que je n’avais pas avant et qui me dura deux jours. Le hoquet passé, je fus guéri. J’ai été malade pendant 14 semaines … le médecin, maître Geoffroy de Saint Léan, avait pronostiqué pour moi la mort. … il y a eu vingt ans (1310) que cela s’est passé. Etaient témoins du vœu que je fis frère Jean de Lotornier, convers, et Alain Le Seuturier.»

*  « Se vouer à saint Yves » c’est faire un vœu, une promesse à saint Yves en lui demandant de prier Dieu pour soi.

 

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