Diaconia 2013 : La citoyenneté et la fraternité par le droit

Etablir le lien entre Fraternité et droit est une question difficile.

Diaconia

Nous avons à poursuivre la tâche initiée par la démarche Diaconia et cette rencontre en est une étape ; Le chantier est devant nous.
Diaconia a ouvert une brèche pour l’Eglise et pour notre société et nous avons à contribuer à élargir cette brèche parce que nous sommes dans une société où au travers des difficultés vécues on se replie sur la revendication, sur son confort, son bien, sa tranquillité, …
Le lien, dans notre société, repose plus sur la revendication de son droit à son confort, à l’expression de soi-même… et non sur la construction d’un droit commun, d’un droit de ensemble, d’un droit de relation, de la construction des relations ensemble.
Diaconia a été d’une toute autre facture, une brèche pour faire tomber les murs et les frontières pour protéger nos droits. Dans notre société, on a tendance à construire des frontières entre les pays, entre les hommes …, des frontières déjà avec nos « baladeurs »…
Diaconia c’est l’expérience d’une fraternité reçue à travers la présence de nos différences jusque dans nos fragilités, nos précarités.
Diaconia c’est l’expérience d’une Fraternité reçue non pas un sentiment une émotion mais un don vécu ensemble
Dans la joie, vivre ensemble une richesse partagée dans les grandes assemblées, dans les célébrations, les forums, les fêtes, les groupes de fraternité.
Les forums n’ont pas été des thèmes de construction intellectuelle mais une écoute des découvertes dans lesquelles les personnes les plus fragiles s’expriment en premier parce que : « ils sont la clé de lecture, de compréhension des questions » (Pape François) et ils nous disent où se trouvent les difficultés, les leviers pour avancer.
Ils sont des témoins qui d’habitude n’ont pas la parole ; ils sont les premiers concernés et peuvent nous dire où il ya blessure, où il ya une fraternité déniée.

Diaconia :
– un enjeu d’une fraternité à recevoir comme un don qui nous fait sortir de notre isolement.
– une synthèse, un envoi, une exigence : »osons servir la Fraternité »
– une découverte, comment vivre notre relation, comment vivre le droit comme relation, comme la construction d’un lieu ensemble, comme une richesse commune, comme une compréhension de ce qu’il s’y joue.

Tous les forums ont insisté sur la nécessité de créer des espaces pour que vive cette expérience de parole échangée, d’initiative commune.

À son origine la déclaration des droits de l’homme était rattachée à une sorte de fraternité donnée (« l’être suprême ») et progressivement ce lien des droits s’est transformé en droits individuels sans paternité et sans fondement d’une fraternité. Pour une part aujourd’hui les droits sont des droits individuels orphelins, nous avons à dire que le droit est relation et la manière de vivre cette relation comme accompagnement qui soit l’inscription de tous dans un droit. Et cet accompagnement permet au droit de s’exprimer de trouver la parole pour le dire, confortée par la parole des autres.
La force de Diaconia , de notre expérience chrétienne est d’avoir lié le service , la diaconie avec la fraternité qui n’est pas un vague et abstrait humanisme mais une expérience partagée.

La première évocation d’une relation de fraternité est de Saint Pierre (1ère ép. Ch. 2)
« Respectez tous les hommes et aimez vos frères en la foi » Aimez la fraternité comme une richesse, comme un don, un lien de vivre ensemble.

L’Église, dans sa doctrine sociale n’emploie pas beaucoup le mot fraternité, a peut-être à enrichir ce mot dans son discours.
L’option pour les pauvres dans Diaconia, a pris un autre sens, une découverte.
Les plus fragiles étaient les premiers à porter l’action de grâce et les intentions dans la liturgie au cours du rassemblement.

Le droit aujourd’hui

La Fraternité est ce qui fonde le droit, cet entre deux pas seulement la série des droits individuels, des droits à, mais cet entre deux qui fonde le droit à un commun partagé.
La question de la fraternité est compliquée. Dans la revue « projet » : la fraternité une contre culture » qui relate un débat de responsables du droit et de la politique, les avis sont que contrairement aux 2 autres devises républicaines, la fraternité n’est pas de l’ordre du droit. On ne va pas devant les tribunaux en France pour faire respecter la Fraternité. Les atteintes à la liberté et l’égalité sont répréhensibles, les atteintes à la fraternité ne le sont pas.
La fraternité est ce qui fonde la vie commune, ce qui est la médiation sans laquelle ni liberté ni égalité n’ont de sens.
La Fraternité c’est aussi ce qui a fait naître le droit social par la découverte des dettes que nous avions les uns par rapport aux autres, des dettes envers ceux qui étaient en difficulté.
Progressivement ce droit social est devenu des droits sociaux, pas des droits à, mais des droits ensemble, droit du logement, droit du travail, droit de la famille…, des droits de, collectifs, destiné à construire du lien collectif.
Ces droits sont nés de la Fraternité, de la solidarité (expression laïque, plus neutre que le mot fraternité…)
La République a eu peur du mot Fraternité et l’a remplacé par le mot solidarité. Elle a construit des mécanismes comme si le vivre ensemble se réduisait à des mécanismes, des dispositifs (neutres et importants) abstraits (applicables dans leur généralité, au plus grand nombre) et sont devenus des droits à et non pas les droits où l’on construit quelque chose ensemble.
Nos institutions préfèrent se réclamer d’une solidarité qui se veut impartiale. Elles se rendent cependant compte que ces solidarités conçues comme des mécaniques laissent beaucoup de gens sur le coté qui n’ont pas accès à cette mécanique, pas accès à la possibilité pour chacun de s’inscrire dans cette solidarité.
Pour des dispositifs de solidarité comme le RMI devenu RSA , on constate que le versement bancaire ne remplacera jamais ce qui présidait à sa construction à savoir l’échange ,la voix, le regard des autres pour se sentir frères.
Et il n’est pas indifférent de ne pas concevoir ces lieux à partir de la mise ensemble de ce qui fonde la nécessité de ces dispositifs.
Cela concerne beaucoup d’autres lieux comme l’accueil des migrants on bien l’école puisque nous sommes accueillis dans une école.
Ce qui se vit à l’école est-ce le mieux noté qui est considéré ou la capacité de s’épauler ? Forme t’on à la compétition des droits des chances ou forme t’on à la construction de personnes capables de rentrer dans cette fraternité ensemble ?

La fraternité permet de rendre compte, d’interroger la dynamique politique de l’attention à l’autre et d’une action commune pour faire vivre ce que nous avons ce que nous avons mis en place comme lieu de vivre ensemble en vue d’une œuvre.
Probablement la fraternité que nous avons vécu à Diaconia interroge sur le « refroidissement des dispositifs d’aide.
Ces derniers doivent répondre à 2 attentes : d’abord celle d’un traitement sérieux du problème de tous ceux qui en sont exclus (Il y a 12 à 15 millions de pauvres en France) en prenant en compte non pas des individus, des N° mais en prenant en compte le profil de chacun, en s’intéressant à leur trajectoire pour ajuster au mieux les réponses sociales, pour faire en sorte qu’elles deviennent une véritable action d’aide à visée de participation et d’insertion. C’est ce qui devrait se jouer dans le RSA, dans l’individualisation du suivi des chômeurs. C’est aussi ce qui avait été évoqué il ya quelques années, en parlant du « care » (le soin), une société d’attention mutuelle, attention qui invente des gestes, d’autres dispositifs dans la réciprocité.
Une société du respect. Etre traité comme une personne et non pas comme un numéro.

Justice sociale et reconnaissance

La justice sociale implique à la fois la redistribution et la reconnaissance.
Notre droit doit être un droit à la reconnaissance des personnes, pas seulement des individus.
Axel Honneth psychologue allemand, auteur de « l’esprit de soi et la société » présente avec insistance le sujet humain (la personne) à reconnaître comme frère, à partir d’une reconnaissance entre sujets parce que le sujet prend conscience de sa manière d’être avec les autres de ce qu’il est lui-même, de sa richesse quand il apprend à considérer sa propre relation avec ses frères dans la perspective d’un autre en face de lui, une seconde personne.
Reconnaissance de la dignité de sujet quand il voit ses droits garantis et qu’il acquiert la reconnaissance en tant que membre d’une communauté.
Dignité parce que dans la relation, il est assuré de sa valeur, de son identité.
Se reconnaitre entre frères, ce que nous avons vécu à Diaconia, c’est d’abord un ensemble de liens affectifs (beaucoup d’affectif dans Diaconia) comme richesse de joie d’être ensemble.
Dans une famille, quand l’enfant se sent assuré de l’amour maternel alors il peut grandir, il a confiance en lui. C’est le 1er lieu de la fraternité, de la reconnaissance où l’on sait que l’on compte pour quelqu’un.

Il y a aussi la nécessité de la reconnaissance par le droit. Un individu se comprend comme porteur de droits quand dans un groupe il a des droits comme les autres et, du coup, il a des devoirs comme les autres.
Reconnaitre les autres dans une communauté comme également porteurs de droits, permet de se comprendre soi-même comme ayant une valeur juridique, comprendre ses actes comme ayant une valeur respectée de tous les autres par sa propre autonomie.
L’expérience du forum de citoyenneté (des jeunes des personnes précaires) a montré que tous avaient des droits de toutes sortes à mettre en œuvre et a permis de découvrir que nous avions à contribuer à ces droits et être reconnus comme citoyens ;c’est un respect de soi qui se découvre avec les autres, pour les autres parce qu’on participe .
Le respect des personnes commence par le respect de leurs droits. On voit bien, dans nos sociétés, qu’il y a trop de personnes dont on ne respecte pas les droits.
La dignité humaine n’est peut être rien d’autre que la capacité reconnue à revendiquer son droit, avec d’autres.
Des fraternités se jouent dans ces lieux de lutte pour la reconnaissance des droits.
Et il faudrait aussi s’interroger sur les communautarismes qui sont aussi des lieux collectifs de construction, de fraternité parce que ce sont aussi des lieux de recherche de droit.
Les communautés humiliées conduisent à des sentiments contraires, paralysants, de honte de soi.

La reconnaissance est de l’ordre affectif, la fraternité comme sentiment de confiance qui permet d’accéder à une place dans la société, de respect reconnu et aussi d’entrer dans une solidarité sociale en permettant de faire valoir ses capacités.
Les hommes ont besoin de faire l’expérience qu’ils sont estimés comme capables de participer à une construction, de se rapporter positivement à leurs capacités concrètes.
Est-ce que dans nos sociétés, on reconnait les plus fragiles, les malades , les vieux comme ayant aussi des capacités de contribution qui ne peuvent pas être assurées par d’autres qui ont eux des capacités différentes.
On voit bien que dans nos sociétés d’aujourd’hui, l’estime est donnée à quelques uns dans une lutte pour l’estime. Qui est estimé dans nos sociétés ? Quels sont les critères de jugement ? Ceux qui réussissent par l’argent ? Le statut ? Ou est ce qu’on entend que l’important n’est pas dans la construction de cet espace commun mais est aussi dans les capacités données à chacun, découvertes par chacun.
Sinon on renvoie un certain nombre de gens dans la passivité, le repli, dans la marge, dans le ghetto peut-être.

Reconnaitre les capacités de participation chacun de leur capabilité. On a donné une liberté théorique de participer, par exemple le droit de vote, sans donner la capacité d’exercer cette liberté, sans donner la parole, sans donner l’expression, l’information, la mobilité… Quelle est la capabilité d’exercer ce droit de vote ?
Le droit est une promesse faite à chacun de grandir, de devenir davantage capable de construire avec les autres.
Est-ce que nous avons besoin les uns des autres pour construire les lieux de vie où nous sommes, les lieux de travail, d’éducation, de soins ? Es t-ce que nous avons besoin de leurs capacités ?
Je voudrais terminer en disant nous ne pouvons pas nous contenter d’une dichotomie entre la fraternité, fut-elle chrétienne, la fraternité comme idéal, et le lieu du politique, du juridique.
Les relations fraternelles se vivent différemment à cette dimension large, un peu plus froide dans le politique, le droit, les administrations que dans les liens directs de voisinage, de l’affectif. Les deux doivent cependant interagir.
L’opposition entre les relations institutionnelles et les relations fraternelles ne peuvent qu’être un moment de réflexion.
Ce qui s’expérimente dans les espaces de fraternité peut féconder l’espace public. Ce peut être un signe pour le plus grand nombre.
Par exemple, les foyers de l’Arche prouvent à la société que la vie partagée avec des personnes marquées par le handicap est une source de bonheur, d’un autre type de relations. La société gagne à faire une place toutes les personnes et le politique pourra alors légiférer en s’inspirant de ces expériences. Un bon nombre d’initiatives concernant le handicap ont été adossées à des expériences vécues de fraternité.
Les initiatives vécues dans les forums de Diaconia renvoient des signes à la société.
Quand les Roms disent le droit au logement (dans la société on critique le logement insalubre, vétuste…)
Le droit d’habiter avec leurs habitudes culturelles comme transition vers l’insertion dans une société. Il ya antinomie entre le droit au logement et le droit à habiter.
Les chômeurs disent le droit dans les expériences qu’ils ont vécues, pour que les freins à l’emploi qui sont du coté des inemployables devant d’abord s’insérer pour accéder au travail. Ils disent qu’il y a peut être à renverser le problème, que l’insertion sociale n’est pas en amont de l’insertion professionnelle mais elle passe par des types d’offre de travail où il y a un chemin d’insertion.
A travers les exemples d’ATD dans le domaine de l’insertion ce sont les dispositifs qui doivent bouger.
Dans l’éducation par exemple, le collège doit bouger, des rythmes adaptés aux élèves, des groupes de tutorat, des pédagogies différenciées …sont des appels à des innovations dans le système éducatif.
Les lieux d’invention sont des signes pour l’ensemble de la société.
Les relations de proximité permettent de critiquer les institutions, appellent à faire évoluer les règlements, leur manque de finesse, à débusquer leur étroitesse et alors les services publics deviennent conscients de leurs limites et ont besoin des initiatives associatives et de tisser des liens avec elles.

Cette brèche ouverte par Diaconia, nous devons la poursuivre pour interroger notre société et cela concerne la manière dont nous concevons le droit, pas seulement des droits à juxtaposer mais des droits de relation mettant en œuvre les capacités des uns et des autres pour construire cet espace commun.

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