Saint Yves, un saint pour tous les temps

Ce titre est emprunté à une collection, dans laquelle Jean-Christophe Cassard[[Beauchesne, 1992. Jean-Christophe Cassard, professeur en histoire médiévale à l’Université de Bretagne Occidentale, décédé en 2013 à Locquirec.]] a publié un remarquable ouvrage sur saint Yves, Saint Yves de Tréguier, un saint du XIIIe siècle.
La personne du Saint et sa vie sont connues grâce au procès de canonisation et, en cherchant à éviter l’hagiographie, on s’efforcera de partir de considérations historiques incontestables, comme l’a fait magistralement Jean Le Mappian[[Saint Yves, Patron des Juristes, Ouest-France, 1997, réédition par le Fonds Saint Yves en 2013]], historien du droit et avocat pour illustrer la permanence de l’exemple.
À partir de la vie du Saint (I), on verra la diffusion de son image et de son message, dès sa mort en 1303 (II) pour chercher à apprécier la portée contemporaine du message (III).

I. La vie de Saint Yves.

Saint Yves est né autour de 1253 dans un modeste manoir de Minihy-Tréguier, à une demi-lieue de Tréguier. Son grand-père était chevalier, mais son père simplement damoiseau, n’ayant pas été adoubé. Manquait-il de ressources pour assurer le service armé ? Était-il dépourvu de toute vocation militaire ? On sait en tout cas que les sœurs feront des mariages roturiers, que le frère n’a guère laissé de trace et que la seigneurie de Kermartin n’avait rien d’une maison forte. Elle ne comporte ni douves ni murs crénelés protégeant une enceinte. En se rendant sur place, à Minihy-Tréguier, on a une représentation exacte de ce que pouvait être ce lieu noble, descendant aux rives de la Rivière de Tréguier, le Jaudy, en longeant la chapelle du domaine, largement agrandie aujourd’hui en l’honneur du Saint, au point de devenir église paroissiale de Minihy-Tréguier, une commune fort étendue.

Le prénom d’Yves est très répandu à l’époque. Parmi les 243 témoins du procès de canonisation, on dénombre 24 Yves, 14 Guillaume, 11 Alain.

Selon la tradition, Azou du Quinquis, sa mère, aurait eu un songe lui indiquant que son fils serait saint. Quoiqu’il en soit la famille eut les moyens de financer de longues études pour son fils. Lorsqu’elle l’envoya à Paris, elle eut même les moyens de le faire accompagner de son mentor, Jean de Kergoz, qui avait été déjà son répétiteur à Kermartin et le suivra ensuite de Paris à Orléans. Dans un grand âge, il vint de façon touchante témoigner au procès de canonisation, avec quelques condisciples, issus de Trégor, notamment Yves Suet, de la Roche-Derrien et Hervé Fichet, de Pommerit-Jaudy.

La première partie des études dura six ans. Elle fut couronnée de la maîtrise ès arts, acquise ainsi vers l’âge de vingt ans à Paris. Ces études ont permis à l’étudiant de se familiariser avec la science et les grands penseurs de l’Antiquité. Sur le plan pédagogique, l’on venait d’abandonner la glose au profit de la scolastique. Celle-ci rode l’étudiant à la controverse, ce qui entraîne une grande proximité avec le professeur. De plus la philosophie s’affranchit davantage de la théologie.

La seconde partie des études prend une orientation franchement juridique : elle s’effectue à la Faculté du Décret, très orientée vers les Décrétales, c’est-à-dire la Faculté de Droit canonique. La durée de ces études est discutée. Jean Christophe Cassard verrait bien que quatre ou cinq ans aient été consacrés à ce cycle.

La troisième partie s’effectue à Orléans. Le droit civil ne s’apprenait pas à Paris pour des raisons prosaïques. Le pouvoir estimait qu’une trop grosse concentration d’étudiants à Paris pouvait troubler l’ordre public. Il fallait décentraliser. Ici encore Yves est accompagné de Jean de Kergoz. Le cours des études s’effectue selon un schéma immuable : les personnes, les biens, les obligations contractuelles, les successions, les délits, les actions judiciaires.

Jean-Christophe Cassard et Jean Le Mappian s’accordent pour indiquer qu’Yves a fait de solides études de théologie. Il ne pouvait les faire qu’à Paris. Jean-Christophe Cassard pense que les études d’Orléans ont été entrecoupées d’une séquence de trois ans à Paris.

Quoiqu’il en soit tous s’accordent pour dire qu’ainsi Yves atteignait trente ans. Il n’avait pas quitté Orléans quand l’archidiacre Maurice, du Diocèse de Rennes, le mandait pour occuper des fonctions juridiques, mais dans le cadre de l’Église : la fonction d’official.

On ignore comment Yves s’est acquitté de la tâche pendant quatre ans. On sait seulement qu’il vivait dans le jeune et l’abstinence, aidait financièrement deux jeunes écoliers de son pays et tenait sa table ouverte aux pauvres les jours de fête. Toutefois la fréquentation des Franciscains provoqua un choc décisif le portant « à mépriser les choses de ce monde et à désirer avec force les biens du ciel[[Témoignage de Frère Guiomar Morel.]] »
.
Rappelé à Tréguier en 1284 par l’évêque Alain de Bruc, Yves y remplit le même office, mais est désigné quelques mois plus tard comme curé de Trédrez, une paroisse de paysans et de marins, en bordure sud de la Baie de Lannion. Nécessairement l’ordination a précédé la désignation, mais rien ne permet d’en connaître la date et le lieu.

Après huit années passées à Trédrez, le nouvel évêque, Geoffroy de Tournemine transfère le prêtre à la cure de Louannec, où les fidèles, au fond de la rade de Perros-Guirec, sont les mêmes, c’est-à-dire paysans et marins. Yves se rapprochait alors de la cathédrale de Tréguier et de Kermartin.

En revenant de Rennes, Yves, l’aîné des Hélory, avait repris Kermartin, au décès de son père. L’aspect extérieur de l’homme traduisait une évolution. Abandonnant les vêtements conformes à son état, il revêt un étrange costume de bure blanche, porte souvent un cilice de crin et ne fait rien pour chasser les poux. Recru de fatigue, il se couche sur un peu de paille ou un lit de branchages. L’oreiller est fait de quelques pierres plates ou d’un gros livre. À la place près du feu il installe les plus faibles et les plus handicapés[[Cassard, op. cit. p. 23.]].

Yves résilie son office trois ans avant de mourir pour se consacrer entièrement à l’hospitalité rendue à Kermartin. Il reste proche de l’évêque et de la cathédrale, en fournissant son concours par des homélies très suivies, notamment lors des visites pastorales. Cette fonction ultime d’hospitalité est bien connue. De nombreux témoins au procès de canonisation la décrivent.

Recru de fatigue et de privations, après quelques jours d’agonie Yves s’éteint au manoir de Kermartin le 19 mai 1303. La foule de conduit aussitôt à Tréguier pour être inhumé dans la nouvelle cathédrale en construction. Les habitants s’arrachent aussitôt ses dépouilles pour en faire des reliques.

Cette canonisation rapide et populaire est suivie d’une canonisation plus officielle, rapide pour l’époque. Le Duc Jean III adresse une première supplique au Pape Clément VI, dix ans après la mort. Il la réitère auprès du Pape Jean XXII, son successeur, avec l’appui du roi et de la reine de France, de l’Université et de plusieurs prélats français.

Grâce à l’influence de Charles de Blois, la bulle de canonisation est promulguée le 19 mai 1347. Une copie, restaurée en 2003, est conservée aux archives historiques du Diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier.

II. La diffusion du message de saint Yves

En premier lieu les représentations de saint Yves sont légion. On les trouve bien sûr en Bretagne, plus particulièrement en Côtes d’Armor et Finistère[[Claude Berger, Les représentations de Saint Yves en Côtes d’Armor et Finistère, in Armorik, n° 1, mai 2003, Saint- Yves, p. 90.]].
Les représentations de groupe de «Saint Yves entre le Riche et le Pauvre» sont légion. En règle générale le Pauvre est à droite du Saint et demande justice. Il est pieds nus, mal vêtu, la tenue grise est terne, les joues creuses, le chapeau bas d’humilité. Le Riche garde fièrement son couvre-chef, ses vêtements sont de riches couleurs. Il a les joues gonflées de bonne santé et d’orgueil, et met la main à la bourse pour acheter la justice du saint, par des espèces sonnantes et trébuchantes. Le saint se tourne immanquablement vers le Pauvre, en ignorant superbement le Riche.

Toutefois les représentations de saint Yves inspirent largement au-delà de la Bretagne[[Maud Hamoury, in Saint Yves et les Bretons, PUR 2003, p. 187.]]

Dès 1507, le peintre Giovanni Antonio Bazzi peignait une fresque dans l’oratoire de la prison de San-Gimignanone en Toscane. Jacopo Chimenti da Empoli peignit deux tableaux de saint Yves vers 1630. L’un est conservé au musée du Louvre, l’autre à Florence. On peut même citer un tableau de Rubens, représentant saint Yves accueillant la pétition d’une veuve, qui ornait la chapelle du collège des Jésuites à Louvain. Il est aujourd’hui au Detroit Institute of Art après avoir quitté la Bretagne en 1960 (Collection du Marquis de Gouvello, à Kerlévénan, en Sarzeau).

Le peintre flamand Jordaens peignit en 1645 un tableau représentant saint Yves accueillant les plaideurs. Il se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Bruxelles.

Pour Rome, Pierre de Cortone peignit un tableau destiné à saint Yves de la Sapienza quand l’ancienne église de Saint-Yves des Bretons était ornée d’un tableau peint par Mathieu Triga.

Quant au culte des reliques il a entraîné une dissémination qui n’est pas bien connue à ce jour. On sait par exemple que dès 1372, un chanoine de la collégiale de Breslau avait rapporté une relique de saint Yves. Yves Hélory est encore introduit dans l’Université de Cologne en 1457, à Bâle en 1465, à Mayence et Ingolstadt en 1502, à Fribourg en Brisgau en 1506, à Wittenberg en 1502, à Trêves en 1578.

En second lieu le message se traduit par l’invocation à saint Yves à travers la prière. Celle-ci ne doit pas faire l’impasse sur les miracles. Aujourd’hui la procédure de canonisation a quitté le domaine du Code pour être exprimée dans la Constitution apostolique Divinus perfectionis Magister du 25 janvier 1983. Il existe une façon procédurale particulière d’instruire les miracles présumés qui est incontournable avant que n’intervienne une canonisation.

À l’époque de saint Yves il s’agissait d’un véritable procès. L’invocation de saint Yves dans la production de miracles est pour le moins abondante puisqu’elle figure dans les témoignages 53 à 230[[Saint Yves, ceux qui l’ont connu témoignent, ceux qu’il a guéri racontent, enquéte de canonisation, Teck.Impression, Saint Brieuc, 2003, traduction de Jean Paul Le Guillou.]].

Pour éviter de lasser, mais pour illustrer le propos, on se bornera à un seul exemple, le témoignage de Jean Gac (témoin 91), de la paroisse de Trédarzec. Il se trouvait un jour en mer près de Port Béni, un petit port d’échouage situé sur la paroisse de Pleubian, qui a conservé son nom et en grande part sa configuration du 14e siècle. Il se situe vis-à-vis de la Baie d’Enfer en Plougrescant, dans un endroit où les vents de suroît, à l’ouverture du Jaudy, peuvent devenir dangereux. Le navire sur lequel Jean Gac se trouvait coula dans une tempête. Les autres compagnons périrent alors que deux d’entre eux savaient nager. Jean Gac ne savait pas nager, mais invoqua sans délai saint Yves. Aussitôt lui vint sous la main un morceau d’épave qui faisait un pied de long et deux ou trois doigts de large. Jean Gac s’en saisit et fut porté sain et sauf sur la grêve.

La référence aux miracles d’hier et d’aujourd’hui pourra surprendre. Les miracles portés
au bénéfice d’Yves Hélory sont des faits vécus, relatés par les bénéficiaires comme ils les ont vus, sentis et ressentis. Selon le mot de Paul Ricœur nous avons « commis l’acte scientifique » et avons de plus en plus de mal à accepter ce que nous tenons pour une transgression des lois de la nature.

« Nous nous faisons sans doute une idée fausse du miracle chrétien. Car, en réalité, le miracle n’est pas un prodige . Il n’est pas, de soi, un fait en rupture de ban avec une loi scientifiquement établie. Le miracle est essentiellement un signe qui renvoie au Dieu puissant et miséricordieux… L’univers et la vie sont signes pour le croyant. Pour le croyant. Et de fait pour percevoir un signe, il faut être un tant soit peu de connivence avec celui qui le fait, il faut au moins penser que quelqu’un peut l’émettre [[Saint Yves, Enquête de canonisation, 2003, p. 8.]]»
.
Ici l’on ne serait pas complet si l’on ne précisait pas que l’Église a fait le départage entre le miracle, la magie et la superstition. Il existait sur la paroisse de Trédarzec, en face des quais de Tréguier une chapelle dépendant du manoir du Verger, aujourd’hui au centre d’un superbe jardin botanique, Kerdalo. Dédiée à saint Sul cette chapelle comportait également une statue de saint Yves où se déroulaient des pratiques désapprouvées par le clergé. Des pèlerines par procuration se rendaient dans la chapelle, puis celle-ci étant ruinée, dans un petit oratoire adjacent qui servait d’enfeu pour le dernier des Clisson[[Le Braz (Anatole) Au pays des Pardons. Les légendes de la Mort chez les Bretons armoricains]]. Elles y honoraient la représentation du saint dans une statue apparemment délabrée appelée Saint Yves le Véridique ou Saint Yves de Vérité. Après différents rites connus d’elles seules, les pèlerines s’adressaient au saint toujours dans les mêmes termes « Si le droit est pour eux, condamne-nous ! Si le droit est pour nous, condamne-les ; fais qu’ils sèchent sur pied et meurent dans le délai prescrit ». Pour l’Église il s’agit d’une ordalie à Satan. L’oratoire a été démoli en 1879 et la statue brûlée[[Gauthier (Gwendal), Saint Yves de Vérité, la Statue meurtrière, Pyrémonde, 2008.]].

En troisième lieu le Pardon de Saint Yves, depuis quatorze siècles, est une célébration incontournable. Monseigneur Le Mintier, dernier évêque de Tréguier, mort en émigration, avait envisagé de le supprimer. Il lui a fallu battre rapidement en retraite.

Enfin le message le plus profond est la mise en évidence des valeurs véhiculées par la vie du saint : l’ami des pauvres et le modèle d’une Justice apaisante. Le chevalier de Pestivien, témoin n°4 au procès de canonisation, décrit Yves comme un grand créateur de paix : « Magnus reformator pacis ». L’Ancien et le Nouveau Testament conduisent à la certitude que le Christ est vraiment la paix du monde « Un petit enfant nous est né, proclame Isaïe, il se nomme Conseiller merveilleux, Dieu fort, Prince de la Paix »

Saint Paul dit avec force « Is est pax nostra. Il est notre paix ».

Il faut ici faire une incidente sur les rapports des chrétiens avec la justice. Le chrétien est-il un justiciable ordinaire ? Saint Paul répond par la négative (1 Co 6, 1-9). Quand un frère est en procès avec un autre frère, il doit préférer souffrir quelque injustice plutôt que d’étaler son différend devant des infidèles. Paul était confronté à des chrétiens de Corinthe qui se faisaient des procès devant les magistrats païens. Ils troublaient ainsi l’harmonie de la communauté. Voilà comment il faut procéder en matière temporelle.

En matière spirituelle la règle est celle de la correction fraternelle (Math. 18,15). « Si ton frère a péché contre toi, va reprends-le entre toi et lui seul ; s’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends avec toi encore une ou deux (personnes), afin que toute chose se décide sur la parole de deux ou trois témoins. S’il ne les écoute pas, dis-le à l’Église ; et s’il n’écoute pas même l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain.
En vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel
».

Avant tout l’objectif doit être de ramener la paix entre les adversaires. Un témoin du procès de canonisation indique qu’Yves Hélory arrivait à rapprocher les parties dans deux procès sur trois sans qu’il soit besoin de rendre une sentence. L’objectif de paix est mieux atteint lorsque l’on utilise ce que l’on appelle aujourd’hui les modes alternatifs de règlement des procès.

III. La partie contemporaine du message de Saint Yves.

Tout d’abord Saint Yves cité comme le modèle du prêtre. Yves Hélory est souvent représenté en faisant l’homélie et les témoins au procès de canonisation mettent en avant la qualité de ses prédications. Yves Suet, clerc de la Roche-Derrien (témoin n°3), précise que saint Yves accompagnait l’Évêque Alain de Bruc pour prêcher lors des visites pastorales.

Cet exemple est à rapprocher aujourd’hui du canon 767 :
« § 1 – Parmi les formes de prédication l’homélie, qui fait partie de la liturgie elle-même et est réservée au prêtre et au diacre tient une place éminente.
§ 2 – À toutes les messes qui se célèbrent avec le concours du peuple les dimanches et jours de fête de précepte, l’homélie doit être faite et ne peut être omise que pour cause grave.
§ 3 – Il est hautement recommandé, s’il y a un concours de peuple suffisant, de faire l’homélie aux messes célébrées en semaine surtout au temps de l’Avent et du Carême, ou à l’occasion d’une fête ou d’un événement douloureux.
»

D’autres aspects du ministère sont soulignés et, par l’exemple de Saint Yves, donnés comme thèmes au Pardon du mois de mai. En 1981, Monseigneur Barbu, évêque de Quimper et Léon, présidait les cérémonies sur le thème « Jésus-Christ, pain rompu pour un monde nouveau ». En 2000, Monseigneur Patenôtre, évêque de Saint-Claude (Jura), devait illustrer le thème « Ouvrez toutes grandes les portes au Christ-Eucharistie ». C’est ici réfléchir sur le sacrement célébré lors de la Sainte Messe.

De même le sacrement de pénitence et la réconciliation sont des thèmes récurrents. En 1999 Monseigneur Saint Macary, archevêque métropolite de Rennes, Saint-Malo et Dol, présidait le Pardon sur le thème « Sur le chemin de la réconciliation changez nos vies, changez nos âmes ».

En 2006 Monseigneur Centène, évêque de Vannes, dernier évêque ordonné de la Province, présidait à ce titre le Pardon. Le thème était « Sur les pas de Saint Yves réconcilions-nous ». L’année suivante le Cardinal Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, présidait sur un thème très voisin « Sur les pas de saint Yves, laissons-nous réconcilier avec Dieu ».

Des juristes de tous les pays se déplacent au Pardon et sont reconnaissables à leurs tenues particulières. Qui n’a souvenir d’avoir vu une délégation du Barreau de Saragosse défiler bannière en tête, lors de la procession, les avocats en robe et les femmes en noir recouvertes d’une mantille ? En 2011 un magistrat brésilien accompagnait le curé de la paroisse Santo Yvo de Sao Paulo dans les conditions que l’on verra. L’année précédente trois juristes de Cracovie avaient effectué la même démarche après qu’un tableau de saint Yves ait été miraculeusement retrouvé et donné naissance à l’Association « Ars Legis ». En 2012 une délégation d’une paroisse d’Haïti est également venue chercher des reliques pour les installer en cérémonie dans une église paroissiale.

Depuis 1993 les fêtes de Saint-Yves ont trouvé en mai un nouvel élan, tout à la fois parce que le Pardon se tient le dimanche et parce que le Barreau de Saint-Brieuc a créé un Colloque, dit de la Saint Yves, qui se tient le samedi. Il s’agit d’un Colloque laïc ; les thèmes adoptés ne choqueraient pas Yves Hélory et les intervenants, de toutes croyances, se réfèrent souvent à l’exemple de saint Yves tant ils cherchent à s’en inspirer. Le thème de l’année 2011 portait sur la Justice internationale, une justice ouverte sur le monde. Le Conseiller Renaud Van Ruymbeke, évoquant les questions de corruption, s’est référé au modèle de probité et de désintéressement que constituait saint Yves.

Justice et Charité (1993), la Famille (1994), Justice et Liberté (1998), la Justice au service de l’enfant (2001) sont quelques-uns des sujets abordés. En 2003 la solennité du Pardon correspondait au 700e anniversaire de la mort du saint. Le Cardinal Mario Pompedda, légat du Pape, doyen du Tribunal de la Signature Apostolique, figurait dans les intervenants alors que le Colloque, présidé par le regretté Jean-Marc Varaut, abordait « Les valeurs de saint Yves au cœur de l’Europe. La déontologie commune des avocats européens ».

En 2014 le Colloque était voué aux modes alternatifs de règlements des litiges. La médiation était à l’honneur. De façon approfondie la recherche portait sur tout ce qui peut, en excluant le conflit judiciaire, ramener la paix entre les parties par une solution négociée que les plaideurs se réapproprient. On rejoint ici toute la science d’Yves Hélory dans laquelle le doyen Le Bras voyait « un donné, idéal peut-être, mais qui n’en plonge pas moins ses racines dans la sources que constitue, avec le droit naturel et l’Évangile, la tradition ecclésiastique[[Le Bras (Doyen Gabriel), Lefebvre et Rambaud, L’âge classique, 1140-1378, Paris, 1965.]] »

Quelques jours après ce Colloque, auquel il assistait, Monseigneur Moutel, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, partait pour le Pardon de Saint Yves des Bretons à Rome, restauré en même temps que l’était cette église dépendant des pieux Établissements de saint Louis.

En 2013 s’est créé au Diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier un Fonds de Dotation. Le Fonds s’est donné pour objectif de soutenir la réflexion sur l’exercice éthique des professions juridiques par des colloques, des entretiens, des publications et d’apporter une aide aux justiciables en difficulté par des journées d’écoute et d’entretiens.

Les premières réalisations sont à présenter. La réédition du magnifique ouvrage de Jean Le Mappian. La mise en ligne sur le site du Fonds, du procès de canonisation de saint Yves, traduit par Jean-Paul Le Guillou, la diffusion de la biographie de l’Abbé Poisson. Par ailleurs les chemins de saint Yves ont été balisés de Trédrez à Minihy-Tréguier. Une journée de rencontre sur le thème du service de la fraternité par le droit a eu lieu le 15 février, rassemblant plus de 300 participants. Des journées d’écoute ont eu lieu à Tréguier et au Sanctuaire marial de Querrien. Elles ont déjà permis l’écoute de plusieurs dizaines de justiciables en difficulté.

Ainsi pour le fidèle, le prêtre, le juriste, l’ami des pauvres, le justiciable en difficulté, saint Yves reste, bien qu’il ait rendu son âme à Dieu il y a sept siècles, d’une étonnante actualité.


Bibliographie particulière

  • Berger (Claude), Les représentations de saint Yves en Côtes d’Armor et Finistère, in Armorik, n°1, mai 2003, Saint Yves, p. 90.
  • Cassard (Jean-Christophe), Saint Yves de Tréguier, un saint du XIIIe siècle, Beauchesne, 1992.
  • Cassard, op. cit. p. 23.
  • Gauthier (Gwendal) Saint Yves de Vérité, la Statue meurtrière, Pyrémonde, 2008.
  • Hamoury (Maud), in Saint Yves et les Bretons, PUR 2003, p. 187.
  • Le Braz (Anatole) Au pays des Pardons. Les légendes de la Mort chez les Bretons armoricains.
  • Le Bras (Doyen Gabriel), Lefebvre et Rambaud, L’âge classique, 1140-1378 , Paris, 1965.
  • Saint Yves, Patron des Juristes, Ouest-France 1997, réédition par le Fonds Saint-Yves en 2013.
  • Saint Yves, ceux qui l’ont connu témoignent, ceux qu’il a guéri racontent, Enquête de
    canonisation
    , Teck. Impression, Saint-Brieuc, 2003, traduction de Jean-Paul Le Guillou.

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