Contribution à l’histoire du notariat médiéval breton

Il nous vient sous les yeux ce mémoire de master 2 d’histoire du droit (Angers–Nantes–Rennes).

Dans l’introduction l’auteur rend hommage au notaire. Celui-ci est un auxiliaire précieux pour l’historien du droit puisqu’il est chargé de rédiger des actes et d’en assurer la conservation. L’auteur se soucie des actes dressés par les « passeurs d’actes » qui rédigent pour le compte des particuliers et de ceux des « tabellions », le plus souvent des auxiliaires de justice attachés aux juridictions.

Pour le cadre de son étude Thomas Delannoy s’arrête au milieu du XVIe siècle en soulignant les incertitudes qui s’attachent à la définition du moyen-âge.

Pour sa recherche l’auteur a consulté les archives départementales des départements de Loire-Atlantique, du Finistère, du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine, ce qui correspond à l’ambition du mémoire, l’observation du notariat médiéval breton. Dans une partie consacrée à l’inventaire des sources l’auteur fait part de la difficulté qu’il a fallu surmonter pour opérer un classement rationnel des catégories d’actes. Cela lui permet, la difficulté surmontée, de justifier le plan du mémoire : l’étude institutionnelle du notariat breton (1ère partie) et l’origine sociologique, la formation et les titres nécessaires pour les notaires (2e partie).

I – Le cadre institutionnel d’exercice du notariat en Bretagne

Ce cadre s’étudie à partir des règles édictées par les autorités temporelles (les ducs, puis les rois de France) et les autorités ecclésiastiques que sont les évêques bretons.

L’action fondatrice du duc Jean III (1312-1341) est soulignée. Des juristes de son entourage rédigent ce qui deviendra la Très ancienne Coutume de Bretagne. Ce duc est le premier à prendre une grande ordonnance sur la justice. Le tiers de ce texte est consacré aux tabellions et à l’émolument de scellage. Apparaît la distinction entre les « passeurs d’actes » et les « tabellions ». Ces derniers confèrent l’authenticité aux actes rédigés par les « passeurs ». Quant aux émoluments de scellage ils doivent pour l’avenir respecter une grille de nature à limiter les abus dans la perception des émoluments pour faire cesser l’arbitraire. Toutefois l’observation des décennies suivantes montre qu’il a été très difficile d’édicter une règlementation durable et efficace.

Pour l’accès à la profession des règles sont élaborées pour vérifier tant la moralité des candidats que leurs aptitudes à exercer leur métier, par un examen des connaissances et de l’expérience.

Dès 1425 le duc Jean V prend des mesures pour l’enregistrement des actes. Le souci est de lutter contre les faussaires et le crime de « faussonnerie ». Il devient obligatoire de prendre deux notaires pour les contrats d’un montant supérieur à 100 sous. Par ailleurs des dispositions alignent le traitement des faussaires sur celui des faux témoins. Le faussaire condamné une première fois sera exposé publiquement, aura le poing coupé et ses biens confisqués. Le récidiviste sera condamné à mort et pendu haut et court.

Les évêques bretons ont les mêmes préoccupations que les ducs. Jean de Brun, né à Saint-Agathon, est élevé le 5 mai 1371 au trône épiscopal de Tréguier et a publié des statuts relatifs au notariat. Guillaume de Malestroit, évêque de Nantes à partir de 1443, a également voulu lutter contre le trafic des bénéfices ecclésiastiques et a assuré la force probatoire des actes notariés. En 1478 Christophe de Penmarch devient évêque de Saint-Brieuc. Il va s’intéresser aux notaires à propos de la tonsure et donc de leur rapprochement avec l’État clérical.

Dans un développement particulièrement détaillé Thomas Delannoy montre l’importance des sceaux dans l’ancien droit des contrats bretons.

II – L’origine sociologique, la formation et les titres nécessaires pour les notaires

La profession notariale serait-elle d’abord réservée à la noblesse ? Certains notaires, puinés des familles nobles, pour subsister, se réfugient dans la profession car les règles applicables aux successions féodales ne leur sont guère favorables. Si des offices notariaux sont occupés par des cadets, rien ne permet d’y voir une généralité et encore moins une condition d’accès à la profession notariale. Il faut en effet penser que l’exercice du notariat peut entraîner la dérogeance, c’est-à-dire la perte des privilèges nobiliaires, notamment au plan de la fiscalité, sans parler de question d’amour propre.

Cette question de dérogeance est éminemment juridique et appelle, souligne l’auteur, à des conclusions nuancées pour ne pas dire dubitatives. Il est étonnant que l’auteur, si érudit, et si exhaustif par ailleurs, n’ait pas eu le loisir de se pencher sur la thèse de Marcel de la Bigne de la Villeneuve, la dérogeance de la noblesse dans l’ancien régime (Librairie générale Plihon et Hommey, Rennes 1918). Néanmoins l’analyse traduit une vraie connaissance du droit nobiliaire. L’auteur se réfère aux véritables critères : les comparutions aux montres, les réformations de la noblesse, le partage noble…

Plus sociologique que juridique est l’observation des « maisons nobles et autres manoirs » (p. 106) c’est-à-dire le lieu qu’édifient ou habitent les praticiens.

Les derniers développements sont consacrés aux « titres notariés » c’est-à-dire aux conditions d’accès à la profession. Les qualifications universitaires sont rares et l’on cherche en vain ce qui correspondrait aux « écoles de notariat » actuelles. L’opinion courante des historiens est qu’un grade universitaire n’est nullement nécessaire. L’accès se fait par l’apprentissage et la transmission des savoirs pratiques, acquis chez des parents qui exercent déjà le métier, parfois de père en fils.

L’auteur poursuit son exposé en décrivant les autorités qui émettent les titres notariés. Facile à appréhender, la désignation du notaire apostolique se distingue du titre de notaire impérial. Ici se traduit la prudence de l’analyse. Loin d’être catégorique, le mémoire renvoie à des conjectures. Il présume que la plupart des nominations impériales proviennent directement ou indirectement du pape.

Le mémoire se poursuit en évoquant un exemple de carrière notariale, celle d’Even Phily de Saint Nic, qui reçoit le 6 mai 1290 l’office de tabellion et, à partir de sa modeste paroisse, fut un agent fidèle de Philippe Le Bel. Puis le cas de huit notaires est envisagé, en soulignant leur installation bien au-delà de la Bretagne : Avignon, Arles, Nîmes, Bordeaux, Rome…

Le mémoire se termine en étudiant les « passements » finaux et leurs significations. Description complexe, qui, pour mieux se comprendre, pourrait faire référence au droit positif~: la distinction entre l’acte d’avocat et l’acte notarié. Encore faut-il noter qu’il y a des « passements » sans passeur.

L’auteur conclut modestement que son étude, limitée au cadre d’un mémoire de maîtrise, doit conduire à susciter d’autres recherches. Moins limitée qu’il n’est dit, l’étude traduit déjà une aptitude remarquable à l’analyse juridique, comme on l’a vu pour les considérations sur la dérogeance de la noblesse. Au reste la bibliographie citée est impressionnante. Présentée de façon soignée, elle n’oublie pas les grands anciens, Bertrand d’Argentré, Noël du Fail, Pierre Hévin, Augustin-Marie Poullain du Parc et plus récemment Marcel Planiol. Elle se réfère également à des auteurs contemporains indiscutables, Jean-Christophe Cassard, Yves Coativy, André Chédevile, Hubert Guillotel, Michel Nassiet. On peut penser que les directeurs de thèse, dont la réputation n’est plus à faire, proposeront des sujets de mémoire ou de thèse de nature à tirer parti de ce beau travail pour élargir la recherche.

L’expression est également soignée et alerte. La syntaxe est parfaite. Sur le fond le mémoire constitue incontestablement un apport à la connaissance de la pratique du droit au Moyen-Âge, sous son jour le moins facile, comme est fragile l’existence humaine : l’examen de la situation des praticiens, leur origine, leur formation, leur exercice professionnel dans un monde où le redoutable unificateur et centralisateur, Napoléon, n’avait pas encore fait son apparition.

L’auteur se place résolument sous le patronage de saint Yves en signant son travail le 19 mai, fête du saint Patron des magistrats, des avocats, des juristes et même des universitaires pour reprendre l’hommage en 1963 d’un professeur de pharmacie, Charles-Yves Le Pollès, natif de Tréguier (Saint Yves, patron des universitaires).
[/Yves Avril/]

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