Le léopard, l’hermine et le lys 

Sous la direction de Monsieur Luc Guéraud, Professeur à l’Université Rennes 2. Suffragant : Monsieur Jérôme Beaumon, Rennes 2 (Docteur en Histoire)

Ce mémoire de Master 2 Recherche, mention Histoire du droit et des institutions a été soutenu le 20 juin 2019 à Rennes.

Dans l’introduction l’auteur évoque la violence, la justice et la résolution des conflits au Moyen-âge central en décrivant l’exemple de François Villon. Il est rappelé l’intérêt récent des médiévistes pour la justice et la résolution des conflits, déjà étudiés en Anjou, en Gascogne, mais aussi en Italie, en Irlande et en Hongrie. L’étude va alors porter sur la situation de la Bretagne du XIe au XIIIe siècle.

Le matériau servant à l’étude est le cartulaire

recueil de copie des titres relatifs aux biens d’une personne, à ses droits et les documents concernant son histoire ou son administration

… (p. 12).

I. L’affermissement progressif de l’autorité ducale : des contreforts en construction.

L’auteur, comme on le voit dans son titre, recourt à l’héraldique pour montrer les liens entre la Normandie et la Bretagne. Cet exemple n’empêche pas le Duc de la Bretagne d’être un juste justicier et de nombreux exemples de ses interventions judiciaires sont citées. Ils montrent que la Bretagne a une administration apte à rendre la justice et que les juridictions du duc ne sont pas inexistantes.

L’auteur décrit alors de façon vivante la procédure employée devant les juridictions. Des mots qui paraissent ésotériques au XXIè Siècle font alors leur apparition : la calumpinae, la clamor, le plaid, l’ensaisinement (p. 57).

Le dernier rituel consiste à déposer sur l’autel, en présence de nombreux témoins, un objet qui constitue un symbole d’investiture : motte de terre, rameau ou branche d’arbres, gants, un couteau recourbé et le pallium. La description de la procédure montre qu’il s’agit d’une justice rendue en public.

A côté de cette justice cohabitent d’autres modes de règlement des conflits, particulièrement appréciables lorsqu’il n’y a pas de tribunaux ayant une juridiction reconnue (p. 62). Il existe des actes, on les appellerait aujourd’hui des clauses compromissoires ou des compris d’arbitrage, aptes à régler des conflits à naître ou déjà nés.

L’auteur ne voit en effet que trois façons de régler un conflit : la vengeance, le jugement ou le compromis.

La vengeance n’est pas une violence épaisse. Elle est canalisée et règlementée sous le nom de

faida ou vindicta

.

II. L’arsenal juridique au « chœur » de la résolution des conflits (p. 68).

Sous la rubrique « le matériel probatoire », le mémoire commence par aborder les cartulaires en prenant l’exemple de celui de Sainte Croix de Quimperlé. Il souligne la prévalence de l’écrit.

Sous la rubrique, preuves et épreuves, sont évoqués, d’un terme général, « les leges, les ordalies, les duels et les serments judiciaires ».

Puis est abordé le compromis dont l’auteur souligne toute la faveur qu’il rencontre auprès de nos contemporains sous l’appellation de mode alternatif de règlement des conflits (MARC). L’arbitrage est une possibilité bien décrite dont on montre un exemple en 1257, à la Chambre des Comptes de Paris, mais pour un litige où Jean Ier, Duc de Bretagne est arbitre avec Guy de Lusignan. Par une transaction on peut également régler un litige et l’exemple en est montré en 1235 comme le fait savoir Pierre Ier, Duc de Bretagne. Ici est soulignée une particularité : la transaction est destinée à être connue sur la place publique. L’étude montre que, en étudiant plusieurs exemples, les modes alternatifs de règlement des conflits se développent au 13è siècle.

Puis sont abordées les formalités des compromis (p. 102). Ici pas de jugements normatifs pour fonder la décision. Pas de « gagnant » ni de « perdant » à peine de relancer la vengeance. Il faut tenir compte « des sentiments subjectifs des personnes impliquées, de leur fierté, leur honneur ou leur honte ».

Il faut souligner que « le raisonnement en équité répond aux impératifs de la société médiévale » (p. 108). On voit avec intérêt que « la justice médiévale apparaît surtout comme une justice restauratrice et corrective du tissu social ».

Plus étonnante, par rapport au sujet du mémoire, paraissent des développements (p. 109 et s.) consacrés au don, c’est-à-dire aux donations. Des exemples sont fournis à propos des donations faites aux églises et aux abbayes. Il y a un véritable rituel car le plus souvent le donateur dépose sur l’autel un parchemin contenant l’acte. Est cité un exemple de 1133 fait à Rennes à l’Abbaye Saint-Mélaine. Le rapport avec le conflit parait éloigné, mais les donations sont souvent l’objet de conflits ou, exceptionnellement, peuvent venir éteindre un contentieux comme le montre l’exemple de Sainte Croix de Quimperlé en 1085.

III. L’influence des Plantagenêts en Bretagne : véritable tympan ou simple festion ? (p. 117).

Pendant trente-six ans, de 1166 à 1202, la Bretagne est incorporée au gouvernement de « l’empire » angevin. Pendant une même période (1154-1189) cet « empire » comprenait l’Angleterre et la moitié de la France. A sa tête se trouvait un véritable homme d’Etat, Henri Plantagenêt. Cette situation a-t-elle entraîné pour la Bretagne des conséquences durables ?

Il faut d’abord se pencher sur le modèle d’administration anglo-normand : le Sénéchal de Bretagne. Les sénéchaux apparaissent au XIe siècle pour la Normandie, l’Anjou et le Maine. Le premier sénéchal de Bretagne apparaît avant 1040. Il est conduit à juger une cause en 1089 entre l’évêque de Vannes et Rennes et l’Abbaye Saint-Mélaine. Les fonctions de sénéchal s’étendent avec le temps, mais tout bien pesé, ne paraissent pas avoir été militaires. Elles se limitent à un rôle administratif et judiciaire (p. 128).

L’auteur se penche ensuite sur une singularité, l’enquête de pays :

testimonium patriae

(p. 130). Le mode de procédure, avant de s’appliquer en Bretagne, s’appliquait en Normandie et peut-être en Anjou. Un exemple est cité en Bretagne par une enquête à Combourg et un autre à Saint-Gildas de Rhuys en 1187. Cette enquête rassemble un grand nombre de témoins, normalement douze, qui, avec le juge, disent le droit, par exemple face à une revendication de propriété.


Dans la conclusion générale le mémoire explique que son étude contribue à montrer que la justice féodale n’est pas en régression quand prévaut déjà l’idée que « la justice est la condition de la paix… Dieu a établi les rois pour que règne la justice » (p. 139).

Dans le Trégor, à la même époque, Yves Hélory de Kermartin intervenait comme official ou comme défenseur dans des conditions que rapporte avec fidélité l’enquête canonique de canonisation, disponible aux Éditions de l’Harmattan dans sa traduction par Jean-Paul Le Guillou.

Ce travail rend hommage à ceux qui ont faim et soif de justice. Il montre que le service public de la justice, dès les temps plus anciens, sous-tend une valeur qui porte le même nom et mérite d’être considéré comme une valeur évangélique. Dès lors on comprend que le Fonds Saint Yves ait envisagé de distinguer ce travail.

Écrit d’une plume alerte, ce mémoire ne comporte quasiment aucune coquille ou faute de syntaxe sur le plan formel, trait suffisamment rare de nos jours pour être souligné. On sait que Mme Scarlett Mordellet a entrepris désormais une thèse dont ce mémoire parait constituer un avant-propos fécond.

[/Yves Avril/]

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