Les anciennes cathédrales de Saint-Brieuc et Tréguier

Pour songer à élever de tels édifices, il faut que l’évêque qui en prend l’initiative soit au courant de ce qui se passe dans d’autres diocèses, puis choisisse un maitre d’œuvre qui propose le plan. A cette époque, il ne peut s’agir que d’un moine. Il faudra aussi disposer de pierres taillées en quantités respectables et de compagnons capables de les assembler selon le plan retenu. Il faudra enfin financer l’opération. Toutes conditions qui nécessitent un environnement adéquat.

Cathédrales de St-Brieuc et Tréguier

Cathédrales de St-Brieuc et Tréguier

Comment y parvenir au 11e siècle, en Bretagne nord ?

Les évêques se rencontrent dans les Conciles, par exemple celui de Reims en 1049, où celui de Saint-Brieuc en 1080, et aussi à l’occasion des cérémonies princières à la cour de Bretagne, de Normandie ou d’Anjou.

Les moines de la région appartiennent soit à l’abbaye de Léhon, soit à celle de Saint-Jacut de la Mer : Landéoc, et ses prieurés.

Les pierres utilisables sont disponibles en surface ou dans les falaises des bords de la Manche.

Mais les fonds détenus par les diocèses d’alors sont insuffisants pour faire face aux dépenses envisagées. Il faudra solliciter l’appui de la noblesse et des bourgeois aisés, des dons en argent, en nature, des prestations provenant de l’ensemble des chrétiens, et donc mobiliser le clergé séculier, les pères-abbés, la haute noblesse, la petite noblesse et tous les fidèles pour que l’opération puisse démarrer et être menée à son terme, sans doute au bout de plus d’une dizaine d’années. [Challenge dans la durée, pour toute la communauté chrétienne d’alors, heureusement très motivée par sa Foi.

Quels sont, à cette époque, les hauts dignitaires du pays, avec les évêques comtes ?

L’Histoire nous indique leurs noms : Eudes Ier, comte en Bretagne, obtient de son frère Alain III, monarque de Bretagne, la suzerainetésur les nobles des évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier à partir de 1020 environ ; devenu régent de Bretagne, de 1040 à 1047, il conservera sa principauté féodale de Lamballe et Tréguier jusqu’à sa mort, en 1079 ; Geoffroy Ier Botrel, son fils aîné, lui succédera jusqu’en 1093, puis Étienne Ier, son dernier fils, jusqu’en 1136. Ce dernier, né vers 1051, vicomte en Bretagne sera fait comte de Tréguier avant 1079, puis duc de Richmond, comte en Bretagne, comte de Lamballe et Tréguier en 1093, après la mort de tous ses frères.

Ces trois personnages résident le plus souvent dans leurs châteaux de la région. Ils sont vraiment du pays. Ce sont des chevaliers chrétiens. Ils ne feront pas obstacle aux entreprises de leurs évêques, sans doute même les favoriseront-ils de leur mieux.

Venons en maintenant aux évêques d’après 1020. Ils ne sont pas tous connus, loin de là.

Pour Saint-Brieuc, on trouve Adam avant 1069, Hamon avant 1075, Guillaume le Bécheux 1089-1099.

Pour Tréguier : Guillaume en 1030, Salomon en 1040, Martin en 1047, Hughes en 1086, Raoul en 1110, Etienne en 1123.

Par contre nous ne savons rien des moines qui résidaient alors à Léhon et Saint-Jacut. Seuls les noms de deux abbés sont parvenus jusqu’à nous : Hinguethemus vers 1008 et Guiomar en 1092 pour Landéoc.

Voilà pour les personnages du contexte.

Que subsiste-t-il de ces deux premières cathédrales de pierre?

Des restes de la cathédrale romane de Saint-Brieuc furent aperçus lors de fouilles extérieures à l’édifice actuel, par l’architecte diocésain Jules Morvan. Voici ce qu’il relate : «En 1898, en réédifiant un pan de longère du collatéral nord, derrière le siège de l’évêque, il fut mis à jour un mur de pierres de taille, de grand rayon, appartenant au pourtour extérieur d’une ancienne église romane, puis des fouilles pratiquées au sud de l’abside actuelle montrèrent des restes de maçonneries qui ne pouvaient avoir appartenu qu’à une ancienne chapelle absidiale. »

Lithographie ancienne de la cathédrale de St-Brieuc

Lithographie ancienne de la cathédrale de St-Brieuc

Aujourd’hui encore, à gauche de l’entrée, dans la chapelle terminale de la cathédrale Saint-Étienne, apparaissent, au ras du sol, des restes de murs de fondation pouvant être datés du 11e siècle par leur aspect, ainsi d’ailleurs que dans l’intérieur de l’enfeu de cette même chapelle de la Cherche ; les traces mentionnées plus haut sont sous les pavés des rues alentour.

Pour la cathédrale de Tréguier, les indices sont beaucoup plus nets.

Les deux premiers piliers à l’occident de la nef, possèdent des colonnes circulaires à tambours fractionnés de bonne facture, exécutés à partir de pierres étrangères au lieu. Il s’agit de tufs volcaniques verts et de roches roses à grain fin pour le tore du pilier sud. Les dimensions des colonnes : 3 pieds de diamètre, 10 pieds de haut, sont semblables à celles des piliers 11e de l’église de Perros-Guirec. Tout indique qu’il s’agit de la réutilisation de colonnes romanes dans la construction gothique de 1338.

La tour romane, dite d’Hastings, qui s’appuie contre le croisillon septentrional est d’une seule venue, homogène du bas en haut. Elle possédait au moins quatre étages, le dernier ayant disparu, ainsi que l’escalier à vis qui y menait.

Tour Hastings de la cathédrale de Tréguier

Tour Hastings de la cathédrale de Tréguier

Le rez-de-chaussée et le premier étage sont voûtés d’arêtes en petites pierres, deux voûtes géminées. Les matériaux utilisés sont, là encore, amenés de carrières éloignées, non identifiées à ce jour. Autant qu’on puisse en juger, il s’agit de pierres un peu plus tendres que le granite. Toutes les pierres de taille, de poids inférieur à soixante kilos, sont surfacées par piquetage, les traces des pics étant encore bien visibles. Elles sont de couleurs bleues, vertes ou roses.

Les pieds des seize colonnes adossées aux parois du rez-de-chaussée sont gravés de motifs géométriques. Les chapiteaux sont peuplés d’entrelacs et de décors cordés. Un seul d’entre eux montre un grand personnage, entouré de deux silhouettes féminines (?), décors exécutés sur des faces planes entaillées.

Nous sommes là, en matière de datation, à la charnière des 11e et 12e siècles.

Si la cathédrale romane de Tréguier fut achevée par ce clocher, comme il est de règle, elle fut construite entre 1090 et 1110, sur un plan basilical bénédictin, du type de celui de l’abbatiale de Landévennec : 1050-1070. Elle aurait donc étéentreprise par l’évêque Hughes et financée par les fils d’Eudes Ier, puisque ce dernier fut enterré le 7 janvier 1079, dans l’abside de la cathédrale de Saint-Brieuc.

Ce qui nous donne alors pour Saint-Brieuc, un premier édifice de pierre calé entre 1060 et 1080, donc contemporain de l’église Sainte-Marie de Lanlem, que nous avons étudiée dans un précédent article.

Conclusions

Si la cathédrale romane de Saint-Brieuc, élevée vers 1060-1080, fut financée en partie par Eudes Ier comte en Bretagne et comte de Lamballe et Tréguier, celle de Tréguier, 1090-1110, fut «sponsorisée » par son dernier fils, Etienne Ier, duc de Richemond, comte en Bretagne et comte de Lamballe et Tréguier. Les possessions anglaises de ce dernier, 320 manoirs donnés par Guillaume de Normandie à l’issue de la bataille d’Hastings, dont les revenus sont évalués à 1000 livres par an, ont sans doute contribué à son achèvement.

Bibliographie :

Planché J.R., Alain le Roux, Earl of Richmond, Londres, 1874
Morvan Jules, La Cathédrale de Saint-Brieuc, SEDCN, 1923
Couffon René, Catalogue des Evêques de Tréguier, SEDCN, 1929
Andrejewski Daniel, Les Abbayes bretonnes, Fayard, 1983
Deceneux Marc, La Bretagne romane, Ouest-France, 1998
Morin Stéphane, La place de Guingamp dans la Bretagne des 11e-13e siècles, Association bretonne, 2000.

Autres sites

Photos de la cathédrale Saint-Tugdual à Treguier.

Photos de la cathédrale Saint-Étienne à Saint-Brieuc.

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