Saint Yves et les pauvres 2/10 – Paris-Rennes et l’illumination franciscaine de saint Yves :

Prière à l’Esprit Saint :  Esprit Saint, âme de mon âme, je T’adore et je T’aime, éclaire-moi, guide-moi, fortifie-moi, console-moi, indique-moi la route. Je m’en remets, à l’exemple de saint Yves, à tout ce que Tu désires de moi, fais-moi seulement connaître Ta volonté pour éclairer mon chemin. Seigneur Esprit Saint je me tourne vers Toi avec confiance, appuyé sur la prière de ton serviteur saint Yves ; Tu lui as donné en son temps de juger avec équité, d’assister les pauvres. Aussi avec Ton aide, je prends aujourd’hui saint Yves comme modèle de sainteté. Amen.

SAINT YVES, UNE VIE DE SERVICE ET D’AMITIÉ AUX CÔTÉS DES PAUVRES

Par Daniel Giacobi

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                             2 – Paris-Rennes et l’illumination franciscaine de saint Yves

    Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis,   à  les  écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux.  Pape François – § 2 – Message pour la 5ème journée mondiale des pauvres- 14 novembre 2021-

Bientôt l’élève dépassa les maîtres qui n’avaient plus rien à lui apprendre. Avec l’accord de l’évêque, il fallut quitter Tréguier. À l’époque il n’y a pas d’université en Bretagne, ni à Nantes, ni à Rennes. Les étudiants bretons partent vers Paris, le voyage durait à pied entre deux et trois semaines et la route passait par une des merveilles de l’occident chrétien de l’époque, la cathédrale gothique de Chartres, qui émerveilla sans doute Yves.

À Paris, en 1264, Yves découvre une ville grouillante où vivent au moins 10 000 étudiants venus de toute l’Europe car Paris brille alors pour ses cours de théologie et de philosophie. Yves s’installe au Quartier latin, rue des Fouarres dans des chambres voisines où vivent d’autres étudiants bretons qui prennent leurs repas en commun. Sept ont plus tard témoigné de ces années. Les étudiants bretons sont réputés par leur qualité et leur sérieux. Yves sera l’un des plus brillants. Yves a pu entendre les cours des plus grands maîtres de l’époque comme le dominicain saint Thomas d’Aquin ou le franciscain saint Bonaventure et tant d’autres, peut-être le dominicain saint Albert le Grand, le maître de Thomas d’Aquin. La théologie, la science de Dieu, le passionne et ses amis se rappellent comment déjà il était assidu à la prière et au partage avec les pauvres.

Écoutons les témoins 10,12,18 et 46 ; Hervé Fichet , clerc, de Pommerit-Jaudy; Raoul Portier, clerc de Lanmeur ; Guillaume Pierre, vicaire perpétuel dans l’église de Tréguier, Yves de Trégordel, de Pleubian : Raoul déclare : « Parmi ses compatriotes et les autres qui le connaissaient on disait communément qu’il ne couchait pas dans un lit mais par terre avec un peu de paille, alors qu’il avait un bon lit dans sa chambre, comme j’affirme l’avoir vu un jour. C’était courant d’entendre dire parmi ceux qui vivaient avec lui qu’il donnait à des pauvres la portion entière de viande qu’on lui servait à table. » Guillaume déclare : « J’ai vu et connu dom Yves, et j’ai vécu avec lui deux ans ou environ à Orléans, à l’Université, et nous partagions la même chambre, rue Malhetz. Il commençait déjà à vivre dans l’abstinence. … A cette époque-là, il jeûnait aussi le vendredi. Non, je n’ai pas entendu dire qu’il mangeât de la viande ou bût du vin. Il avait alors 23 ans ou environ. Il allait avec plaisir aux messes et aux sermons, et disait communément les matines et les laudes de la Bienheureuse Marie. Étant donné que j’allais continuellement avec lui, j’ai vu et entendu cela. Je ne l’ai jamais vu se brouiller avec ses compagnons, ni jurer par Dieu ou ses saints, ni proférer quelque parole déshonnête.»

Illustration franciscaine

Le projet d’Yves se précise, Foi et Raison font chez lui bon ménage. Il veut mettre ses talents au service d’une Justice qui ne défavorise pas les plus pauvres quand ils sont dans leur droit et rendre à chacun une « prompte justice ».

D’où Yves a-t-il hérité cet amour de la justice ?

Nul doute que les années trégorroises ont dû y contribuer, il a trouvé dans la Parole de Dieu un sens de la justice qu’il entendait mettre en œuvre en son temps. Certains versets sont gravés en son cœur comme au psaume 32, le verset 5 : « Le Seigneur aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour. » Les premiers mots du Livre de la Sagesse résonne en son cœur : « Aimez la Justice ». Yves a dû, accompagné de son jeune précepteur, Jean de Kerch’oz, assister à des séances des procès qui se tenaient à l’officialité de Tréguier. Il a dû regretter les lenteurs d’un système qui trop souvent broyait le pauvre incapable de payer des procédures interminables et de faire reconnaître son bon droit. Le jeune Yves a dû s’enflammer face à l’injustice, les témoignages révèlent qu’adulte il était capable de s’élever avec force contre les violations du droit, l’arbrisseau était sûrement de la même veine. 

 Il lui faut quitter Paris et rejoindre le centre européen des études juridiques qui est depuis le 2nd quart du 13ème siècle le studium d’Orléans dont le pape Grégoire IX avait reconnu la place majeure. Durant toutes ces années, l’étude, chez Yves, n’a jamais pris le pas sur la vie de prière et sur l’exercice concret de la charité ; bien plus, pour Yves l’étude doit renforcer l’homme intérieur, être à son service pour grandir dans l’amour de Dieu et celui des hommes. Yves a su échapper au vertige du savoir, à l’illusion et à l’orgueil du prestige que peut donner la maîtrise de la connaissance. Il aspire à un savoir incarné dans la vie des hommes. 

Brillamment diplômé en droit canon et en droit civil, ce qui est exceptionnel à l’époque, après treize ans d’absence, il s’apprête à regagner son Trégor.

En 1277, Maurice, archidiacre de l’évêque de Rennes, l’appelle à devenir son official. Le mot « official » emprunté au droit romain est apparu au début du 13ème s. Il s’agissait d’un fonctionnaire épiscopal nommé par l’évêque et révocable à tout moment, ayant délégation de l’évêque pour juger les affaires criminelles, les causes matrimoniales et les dîmes, toutes les questions sous serments. Première fonction officielle, il s’y donne avec ardeur plus de trois ans sans que le souci des pauvres, cœur de sa vision de la justice, ne se démente jamais. Deux jeunes compatriotes qu’il aide de ses deniers, Olivier Floc’h, vicaire et gardien des reliques et Darien Guidomar,   témoignent. Écoutons Olivier :  « Dom Yves était de vie bonne et de mœurs honnêtes. J’ai fait sa connaissance à l’époque où il était l’official de l’Archidiacre de Rennes, appelé Maurice, car j’étais alors à l’école à Rennes avec un autre qui s’appelait Darien Guidomar, devenu Prêcheur par la suite. Dom Yves nous donnait deux deniers tous les trois jours, et ensuite il nous invitait à manger aux fêtes annuelles, c’est-à-dire à Noël, à Pâques, à la Pentecôte et à la Toussaint lorsque l’Archidiacre n’était pas dans sa résidence. C’est alors que j’ai vu ceci : on préparait les mets pour le repas, comme on le fait d’habitude en de pareilles fêtes, et quand les tables étaient dressées, dom Yves faisait porter et disposer les plats sur la table, comme s’il y avait des gens en train de manger ; ensuite il faisait les parts, les plaçait dans un panier et les donnait à garder. Puis il disait : « Je vais chercher mes gens ! ». Et il ouvrait toute grande la porte par où les pauvres entraient. Il faisait alors apporter les plats, et il les leur servait lui-même, leur donnant deux fois à boire. Puis il venait se mettre à table avec nous deux. Alors nous mangions abondamment les mets en compagnie de ses familiers. Dom Yves se contentait de pain grossier et de plantes potagères, et ne buvait que de l’eau fraîche … »

Son immense talent lui aurait sans doute permis d’obtenir gloire et honneur à Rennes ou ailleurs au service des plus grands mais c’est le service des pauvres qu’Yves allait choisir. Ce choix repose sur une expérience spirituelle forte qu’il a vécue à Rennes, véritable conversion personnelle qui va renouveler sa vie et sa façon d’être.

À Paris, Yves fréquentait le cloître franciscain des Cordeliers. Il y avait découvert François, le Pauvre d’Assise, mort en 1226. « Dame pauvreté » rejoint alors Yves. La vie de François avait été écrite par Bonaventure dont Yves suivit en 1267 les conférences alors qu’il était devenu le supérieur des Mineurs. Yves entend encore la voix du célèbre franciscain qui enseignait que tout itinéraire spirituel progresse par purifications et illuminations successives de plus en plus intenses. Avec les leçons rigoureuses du dominicain Thomas d’Aquin, la spiritualité franciscaine marqua sa jeune vie.

À Rennes, Yves fréquente l’hospice franciscain de Saint-Jacques créé en 1230. C’est là qu’il va vivre une de ces illuminations qu’évoque Bonaventure. Le père Raoul y est son directeur spirituel. Dans un climat serein et joyeux il suit les cours des novices franciscains sur l’Écriture, une théologie centrée sur le Verbe incarné, éclairée par l’Écriture. Yves s’imprègne d’une lecture de la Parole où le savant se fait petit enfant. La Bible est pour Bonaventure un don de Dieu à accueillir « en fléchissant les genoux de notre cœur. » C’est l’attitude d’Yves durant ses longues veilles.  Écoutons le récit précieux du témoin 29, Frère Guidomar Maurel, franciscain de Guingamp, il est sans doute le plus proche ami de saint Yves  : « Quand j’étais malade, à Ker Martin, j’ai demandé en secret à dom Yves de me dire ce qui l’avait conduit à vivre comme cela, d’une façon rigoureuse et sainte. Il eut beaucoup de mal à me répondre : « J’étais l’official de l’Archidiacre de Rennes, et j’entendais commenter le Quatrième Livre des Sentences et parler sur la Bible dans la maison des Frères Mineurs. Les divines paroles que j’entendais m’ont amené à mépriser le monde et à rechercher les choses du ciel. La raison et la sensualité se livraient souvent en moi-même un grand combat. Et je suis resté ainsi à combattre pendant huit années ; c’est la neuvième année que ma raison a gagné sur ma sensualité ; et je me suis mis à prêcher dans mes bons habits. Mais la dixième année je me suis réglé sur la parfaite raison ; j’ai, pour l’amour de Dieu, donné mes bons habits ; et j’ai pris des habits, cotte avec manches longues et amples sans boutons, et surcot, assez longs et tout à fait convenables, d’une grossière étoffe blanche appelée burell, pour ramener les brebis du Seigneur à l’amour du Christ».

Yves est saisi, c’est l’expérience d’Antoine du désert saisi par la Parole : « viens, suis-moi, tu auras un trésor dans les cieux » en entrant dans une église, ou celle d’Augustin qui ouvre la Bible, lit le premier passage qui tombe sous ses yeux et accueille en son cœur « une lumière rassurante » qui dissipe « toutes les ténèbres de l’incertitude.» Yves le dit tout net, les divines paroles entendues « m’ont amené à mépriser le monde (les mondanités dirait aujourd’hui le pape François) et à rechercher les choses du ciel»

 Le combat du dépouillement débute, il est rude et dure dix années. L’étape finale de ce « chemin de Damas » se situe en 1287. Il est recteur de Trédrez, le signe extérieur en est la tenue. Au riche manteau d’official il substitue la robe de bure. Écoutons le témoin 47, Darien de Trégroin, recteur du diocèse de Tréguier : « Dom Yves portait les habits qui lui venaient du seigneur évêque de Tréguier, avant de revêtir sa robe de burell… J’ai entendu dire qu’il portait toute sa vie un cilice. »  Beaucoup le confirme comme le témoin 18, vicaire de Tréguier, Guillaume Pierre : « C’est au cours des seize années qui précédèrent sa mort (c’est à dire depuis 1287) qu’il changea du tout au tout son mode de vie. Il fit choix d’un habit : c’était une cotte et un surcot d’une étoffe grossière blanche qu’on appelle burell. Il le fit, à mon avis, pour servir Dieu d’une manière plus humble. De plus il portait un cilice. Une fois mon maître, Yves Casin, alors official de Tréguier, alla faire visite à dom Yves qui était malade dans son manoir de Ker Martin. Le seigneur official posa sa main sur la poitrine de dom Yves pour le palper, comme on le fait habituellement aux malades. C’est alors qu’il vit, par l’ouverture du col, le cilice que dom Yves portait à même la peau. C’est comme cela que j’ai su qu’il portait un cilice. Je l’ai vu moi aussi alors couché à ce même endroit revêtu de sa cotte et de son surcot malgré sa maladie. »

L’habit n’est que le signe d’un autre combat, celui de la pureté du cœur. Yves parle de sensualité, les témoins de chasteté. La liste est longue de ceux qui attestent qu’il n’ont vu en lui rien « de contraire à la chasteté. »  Geoffroy de Saint Léan, témoin 5, recteur de La Roche-Derrien, fut le confesseur d’Yves, écoutons-le : « Dom Yves fut un homme chaste : je l’ai entendu en confession générale au cours des trois ans qui ont précédé sa mort, et je l’ai trouvé libre et exempt de toute faute charnelle et de tout péché mortel. D’ailleurs sa chasteté est de notoriété publique dans le diocèse de Tréguier et dans tous les lieux qu’il a fréquentés. »

Yves est certainement une âme franciscaine, mais son adhésion au Tiers-Ordre franciscain reste objet de débat. Cependant depuis 1531 l’Ordre franciscain célèbre sa fête en tant que tertiaire. Un épisode digne des Fioretti de saint François est conté par Hamon Toulefflam, ermite de bonne réputation, de la paroisse de Plestin, témoin 20 : « Tandis que nous étions à table, un petit oiseau entra par la fenêtre et se posa sur dom Yves en ma présence. «Voyez, messire, dis-je, l’oiseau tout près de vous, sur votre habit ». Dom Yves prit l’oiseau dans sa main et le regarda pendant un bon moment. Il avait la gorge et la poitrine cerclés d’un blanc neigeux et le plumage de son dos était d’un vert resplendissant.  C’est ainsi que je l’ai vu. Dom Yves le regarda donc quelque temps, puis il le laissa partir en disant : « Va, au nom de Dieu ». J’ai la ferme conviction que c’était un signe de la part de Dieu … jamais dans cette maison ou ailleurs, ni avant ni après, je n’ai vu oiseau semblable. Je le crois aussi pour la manière dont cet oiseau est venu, dont il l’a reçu, et encore parce qu’il n’est parti que congédié, alors que dom Yves l’avait gardé longtemps dans sa main ouverte.»

Une vraie Joie empreinte de douceur habite Yves à chaque instant.  Me Alexandre Masseron, écrit dans saint Yves d’après les témoins de sa vie : « Bible au bras, le chaperon rabattu, toujours à pied sur les routes du diocèse de Tréguier et des diocèses voisins, nous aurions tort d’imaginer qu’il a une physionomie austère et un abord rébarbatif. Disciple de saint François d’Assise, dont il chérissait tout particulièrement les fils, saint Yves était lui aussi un apôtre de la joie, de la joie parfaite au sens où l’entendait le Poverello. »

On peut dire qu’avec saint Yves a été réalisée et réussie la greffe du rameau de la joie franciscaine sur le tronc de l’austérité du monachisme celtique.

L’amour des pauvres lui valut bien des sarcasmes et des humiliations, mais Yves gardait le sourire. « Heureux les doux car ils posséderont la terre ». Hamon Nicolay, clerc de Tréguier, témoin 8, raconte : « À plusieurs reprises Guillaume de Tournemine, trésorier de Tréguier et le clerc maître Jean Guérin, citoyen de Tréguier, insultèrent dom Yves dans l’église de Tréguier, et lui qui pourtant était né de race noble, ils le traitaient de rustre, de coquin, de truand, de gueux. Dom Yves supportait cela avec patience, et leur répondait en riant : « Que Dieu vous épargne d’être ce que vous dites ! »

PISTE DE RÉFLEXION : Je fais une relecture de mes années d’études et de formation personnelle.  Qu’est-ce que je leur dois ? M’ont-elles conduit(e) vers des impasses ou des mauvais chemins ?  Comment en suis-je sorti(e) ?

 

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