Loi confiance dans l’institution judiciaire : incidence sur la déontologie et la discipline des officiers ministériels et des avocats

Article paru le 25 janvier 2022 dans la revue de référence, Dalloz Actualité.

https://www.dalloz-actualite.fr/flash/loi-confiance-dans-l-institution-judiciaire-incidence-sur-deontologie-et-discipline-des-offici#.YfEcXerMKHs

Loi confiance dans l’institution judiciaire : incidence sur la déontologie et la discipline des officiers ministériels et des avocats

Pour Me Anne-France Langlumé, avocate au Barreau de Paris, cet article permet de porter l’éclairage sur le statut, méconnu, d’officier ministériel et des professionnels qui en relèvent et sur les règles disciplinaires qui s’appliquent à eux ainsi qu’aux avocats.

Me Yves Avril précise que cette loi n’est pas encore commentée sous cet aspect dans les revues juridiques. Le site du FSY fait ici  œuvre de nouveauté. Sont concernés, outre les avocats, quatre autres professions de juristes.

Laurent Dargent de Dalloz Actualité autorise le FSY à reproduire cet article sur son site avec l’indication de la source.

 

*La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a été publiée au Journal officiel du 23 décembre.

Elle entend notamment renforcer la confiance du public dans l’action des professionnels du droit.

par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, Ancien Bâtonnier, le 25 janvier 2022

  1. n° 2021-1729 du 22 déc. 2021, JO 23 déc.

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, précédée d’une loi organique du même jour et du même nom (L. n° 2021-1728), n’est pas une surprise puisqu’il y a quelques mois son projet avait été déposé et provoqué des commentaires interrogatifs (v. par ex. Y. Avril, projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. La discipline de l’avocat, Dalloz actualité, 27 avr. 2021). Après avoir passé le filtre du Conseil constitutionnel (Cons. const. 17 déc. 2021, nos 2021-829 DC et 2021-830 DC, AJDA 2021. 2556  ; D. 2022. 22, obs. C. const. 17 déc. 2021 ), les nouvelles dispositions mettent un terme à une inquiétude qu’avait provoquée, sans préalable, un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGF) sur la discipline des professions du droit et du chiffre remis au garde des Sceaux le 4 décembre 2020 (Y. Avril, Discipline des professions du droit et du chiffre : L’IGF rend son rapport, Dalloz actualité, 18 déc. 2020).

On se bornera à commenter, de façon plus didactique que critique, une loi qui n’aura de véritable portée qu’après la promulgation de décrets en Conseil d’État. Il est admis désormais que le gouvernement, ce qui a été jugé à propos des avocats, peut édicter des règles de déontologie applicables aux professions réglementées (CE, 6e et 1re sect., 15 nov. 2006, nos 283475, 284964 et 285065, Lebon T. ; JCP 2007. II. 10001, note R. Martin).

Le législateur, dans deux sections d’un même chapitre, se penche sur la déontologie et la discipline des officiers ministériels, avant de se pencher sur la discipline des avocats.

 La déontologie et la discipline des officiers ministériels

Le rapport de l’Inspection générale de la justice proposait une réforme ambitieuse. Le périmètre de la mission confiée par le garde des Sceaux concernait les professions suivantes : avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, commissaires aux comptes, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires. La loi nouvelle se limite aux officiers ministériels que sont les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les commissaires de justice, les greffiers des tribunaux de commerce et les notaires (L. n° 2021-1729, art. 31). Il est à noter que, pour le commissaire de justice, le législateur fait preuve d’anticipation car les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire vont se regrouper de façon progressive à compter du 1er juillet 2022 pour devenir exclusives le 1er juillet 2026 (ord. n° 2016-728 du 2 juin 2016, relative au statut de commissaire de justice). Ces quatre professions ont une organisation professionnelle dotée de traits communs : titulaires d’un office conféré par l’autorité publique, elles disposent du droit de présenter leur successeur, ce qui implique, pour leur exercice, un numerus clausus. Elles répondent à l’appellation « d’officiers ministériels ».

La première disposition consiste à établir, pour chaque profession, un code de déontologie. Comme l’a relevé un auteur de référence, « les origines de la déontologie sont à la fois philosophiques et professionnelles » (J.-P. Buffelan, Étude de la déontologie comparée dans les professions organisées en ordre, JCP 1962. Doctr. 1695). Des professions ont, dans la société, une fonction idéale, empreinte d’une moralité exigeante, qui engendre des obligations propres. Celles-ci gouvernent « leurs relations avec le public, les clients, les services publics, leurs confrères et les membres des autres professions » (L. n° 2021-1729, art. 33, § 1er). Ce degré particulier de service ne peut être suffisamment encadré par la responsabilité civile et la responsabilité pénale. Une responsabilité particulière, la responsabilité disciplinaire, vient sanctionner des infractions déontologiques, comportant les faits commis en dehors de l’exercice de la profession (L. n° 2021-1729, art. 33, § 3).

Le principe de collèges de déontologie est retenu pour l’élaboration du code de déontologie de la profession concernée. En attendant la venue de décrets en Conseil d’État, on sait que ces collèges comporteront notamment deux professionnels et deux personnes extérieures qualifiées dont l’une au moins sera un membre honoraire du Conseil d’État, magistrat honoraire de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire. Le président de l’instance nationale ou une personne qu’il désigne présidera ce collège.

La mise en mouvement de l’action disciplinaire relève de deux autorités, le procureur général (L. n° 2021-1729, art. 34), en concurrence avec les autorités de chacune des professions habilitées à l’exercer. Cette mise en œuvre ne concerne pas l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Selon le cas, en concours avec le président de l’ordre, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, la poursuite pourra être exercée.

Enfin, une innovation permet à l’autorité habilitée pour chaque profession de prononcer une mise en garde ou une injonction assortie d’une astreinte. En respectant le caractère du contradictoire, cette autorité est compétente pour la liquider et le montant maximal sera fixé par décret en Conseil d’État. Le côté répressif du droit disciplinaire apparaît clairement ici, mais aussi le côté préventif de la sanction, qui ne sera effective qu’après qu’aura été mesurée la mauvaise foi du professionnel en statuant sur la liquidation de l’astreinte.

Une autre précision vient contrecarrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel. L’infraction disciplinaire peut échapper à toute prescription quand il n’existe aucun texte particulier (Y. Avril, L’absence de prescription des poursuites disciplinaires chez l’avocat, Dalloz actualité, 5 nov. 2018). En revanche, le législateur peut fixer une prescription de l’action disciplinaire (dix ans pour les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs et les mandataires judiciaires, C. com., art. L. 743-4). Ce rappel à l’ordre où l’injonction ne peut être adressée « au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’autorité mentionnée […] aura connaissance effective de la réalité, de la nature et des faits susceptibles de justifier de telles mesures » (L. n° 2021-1729, art. 35, al. 2). Ces mesures devant s’analyser comme des peines, le professionnel bénéficie du deuxième degré en pouvant recourir contre la décision auprès du président de la juridiction disciplinaire.

Une autre innovation est introduite dans le droit professionnel des officiers ministériels. Une tentative de conciliation peut être ordonnée par la partie apte à recevoir une réclamation. Il y a une restriction : « Lorsque la nature de la réclamation le permet » (L. n° 2021-1729, art. 36, al. 2). Cette latitude, vague, pourrait aboutir à une tentative de conciliation systématique ou, à l’inverse, à une tentative exceptionnelle selon la volonté de chaque autorité. Il sera intéressant de voir si cette opportunité n’entraîne pas une jurisprudence traduisant une vraie cacophonie.

Un service d’enquête doit être établi auprès de chaque juridiction disciplinaire. Toutefois, sa saisine, la désignation des membres et le déroulement de la procédure seront déterminés par décret. Faute de précision suffisante, il faut seulement retenir qu’il y aura des autorités d’enquête et des autorités de jugement.

Ces autorités de jugements seront instituées auprès des conseils régionaux pour les notaires (L. n° 2021-1729, art. 38, al. 1er) et des chambres régionales des commissaires de justice (ibid.). Elles seront dotées d’un président, magistrat du siège de la cour d’appel, en activité ou honoraire et de deux membres de la profession concernée. Il s’agit d’un principe que l’on appelle « l’échevinage ». Au dernier degré, une chambre nationale sera composée de trois magistrats et de deux professionnels. À l’inverse du premier degré, la majorité n’appartiendra pas au représentant de la profession concernée.

Une procédure particulière donne une lourde responsabilité au président de la juridiction disciplinaire : la suspension provisoire de ses fonctions pour le professionnel qui fait l’objet d’une enquête ou d’une poursuite disciplinaire (L. n° 2021-1729, art. 40). Cette suspension a une durée limitée ou encadrée ; une durée de six mois permet un renouvellement une fois, mais il est possible de l’étendre au-delà si l’action publique est en cours pour les faits poursuivis. Avec des éléments nouveaux, le président peut lever la mesure, mais il faudra toujours respecter un débat contradictoire. Cette compétence est nouvelle. Actuellement, cette mesure, par exemple pour le notaire, relève de la procédure de droit commun ou la voie du référé est ouverte (P. Brun, R. Crône, P. Pierre, J. de Poulpiquet, Responsabilité des notaires, Dalloz Référence, 2019, § 212.91 s.).

Les sanctions possibles sont calquées sur celles que connaît la profession d’avocat (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991, art. 184), de l’avertissement au retrait de l’honorariat. Une particularité est à souligner : l’interdiction temporaire, plafonnée à trois ans pour l’avocat, peut atteindre dix ans pour les officiers ministériels.

Enfin, dans un souci d’efficacité, et pour ne pas retarder l’application des règles nouvelles, le législateur autorise le gouvernement à compléter la réforme dans un délai de huit mois en statuant par ordonnances.

Edvard Munch, Le Penseur de Rodin dans le parc du Docteur Linde à Lübeck, 1907
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La discipline des avocats

La discipline actuelle des avocats a été profondément réformée au début du siècle (L. n° 2004-130 du 11 févr. 2004 ; Décr. n° 2005-581 du 24 févr. 2005). Rapidement, la profession a suggéré des modifications susceptibles d’engendrer des progrès et la loi met un terme à toutes les spéculations (CNB, AG des 18 et 19 janv. 2013 ; CNB, Résolutions de l’AG du 3 avr. 2020 sur une proposition d’adaptation et de réforme de la procédure disciplinaire applicable aux avocats).

Comme pour les officiers ministériels, la loi cherche à favoriser le dialogue entre les plaignants et l’avocat concerné, sous l’égide du bâtonnier. Celui-ci « peut organiser une conciliation » (L. n° 2021-1729, art. 42), mais une restriction rejoint la discipline des officiers ministériels « lorsque la nature de la réclamation le permet, et sous réserve des réclamations abusives ou manifestement mal fondées ». Seule l’observation de la pratique permettra de voir si cette opportunité est effectivement adoptée par les bâtonniers.

Si tout le monde s’accordait à reconnaître que la part du plaignant dans la procédure, inexistante, devrait être revue, personne ne pensait à l’ouverture de taille procurée par la loi. En effet, le plaignant peut désormais saisir directement la juridiction disciplinaire. On sait que celle-ci statue obligatoirement dans la commune où siège la cour d’appel (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991, art. 193), le conseil de discipline devra donc adopter une structure permanente. Toutefois, comme il ne dispose pas de la personnalité morale, à la différence du Conseil national des barreaux, il ne lui est pas possible de lever des cotisations. On espère que cette situation n’engendrera pas de difficultés, faute de mise en place d’un budget propre à assurer cette nouvelle mission qui aura forcément un coût pour les barreaux.

La seconde innovation est toute aussi notable. Elle met fin à toute divergence. Le législateur adopte l’échevinage, c’est-à-dire la participation de magistrats et de professionnels. Pour la première fois depuis que l’ordre des avocats a reçu une attribution disciplinaire (lors du rétablissement du barreau par le décret du 14 déc. 1810 [art. 19, 20, 21]), le président de la juridiction peut ne plus être un avocat, mais un magistrat en activité ou honoraire du siège de la cour d’appel. Cette singularité mérite d’être observée dans la mesure où elle est facultative. Elle est de droit quand la plainte émane d’un tiers, mais elle peut être sollicitée par l’avocat poursuivi. On ne peut que souligner la singularité qui consiste à laisser à un justiciable poursuivi le choix de la composition de la juridiction qui va le juger.

En outre doit être notée une exigence qui obligera à s’interroger sur l’âge du magistrat ou de la magistrate susceptible de présider la juridiction disciplinaire. Il ne pourra siéger « au-delà de la date de son soixante et onzième anniversaire ». Si l’on sait depuis Pierre Corneille qu’« aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », le législateur contemporain estime qu’à 70 ans révolus, cette valeur disparaît, au point d’interdire au notaire de poursuivre son activité au-delà de cet âge (L. n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Loi Macron »).

À noter que le droit de faire appel n’est pas ouvert au plaignant. Seuls l’avocat poursuivi, le bâtonnier ou le procureur général peuvent effectuer le recours.

Une innovation importante introduit l’échevinage en appel. La cour sera composée de trois magistrats en activité ou honoraires et de deux membres des conseils de l’ordre du ressort de la cour d’appel. Il faudra donc mettre en place une nouvelle procédure de désignation par les conseils de l’ordre, déjà chargés de désigner les membres du conseil de discipline.

Rejoignant l’organisation professionnelle des officiers ministériels, l’avocat aura désormais dans ses obligations l’application d’un code de déontologie. Ainsi se termine une évolution des sources de la déontologie pour les membres du barreau. Il n’y a pas si longtemps, il fallait se référer aux usages (J. Lemaire, Les règles de la profession d’avocat et les usages du barreau de Paris, LGDJ, 1975), mais les sources écrites impératives sont devenues la source principale. La faculté ouverte à la profession de créer et de faire évoluer le Règlement intérieur national (décis. du 12 juill. 2007 portant adoption du R.I.N. de la profession d’avocat, JO 11 août) rendait possible, voire inéluctable, la publication d’un code. Certains auteurs avaient déjà anticipé sur cette évolution (Code de l’avocat 2021, annoté et commenté, Dalloz ; Code de déontologie de l’ordre des avocats de Paris, 2021, 10e éd., Dalloz).

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Cette loi nouvelle que l’on attendait avec impatience rapproche, sur le plan de la responsabilité, les officiers ministériels des avocats. De nombreuses règles sont inspirées de l’organisation la plus ancienne, celles du barreau. De nombreuses règles sont communes et favorisent l’idée selon laquelle on verrait émerger un vrai droit disciplinaire (P. Ancel et J. Moret-Bailly [dir.], Vers un droit commun disciplinaire, Université de Saint-Étienne 2007), plus particulièrement pour les professions juridiques (La déontologie des professionnels du droit, quel avenir ?, Lamy, 2010 ; Les règles déontologiques au service des usagers du droit, Dalloz, 2013 ; J. Moret-Bailly et D. Trichet, Pour une autre déontologie des juristes, PUF, 2014). L’examen des décrets d’application pris pour rendre effective la loi nouvelle permettra de vérifier si cette trajectoire commune se confirme.

Mots-clés :

AVOCAT | Déontologie  | CIVIL | Procédure civile

 

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