Extrait de : Yves Avril dans Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Branchereau. Liber amicorum,
publiés par l’Officialité interdiocésaine de Rennes,
sous la coordination de l’abbé Hervé Queinnec, Official de Rennes,
Châteauneuf-sur-Charente : Frémur Éditions, avril 2022, p. 247-252,
(ISBN : 979-10-92137-12-5)
Chapitre d’ouvrage
Yves Hélory (1253-1303) est né et a rendu son âme à Dieu dans un modeste manoir rural situé à Minihy-Tréguier, à peu de distance de la cité épiscopale fondée par saint Tugdual au VIe siècle. À sa mort, le 19 mai, la foule des fidèles a conduit sa dépouille, subito sancto, à la Cathédrale de Tréguier, alors en construction, où il repose toujours malgré les vicissitudes de temps troublés qui ont conduit au saccage de la Cathédrale par le Bataillon d’Étampes en mai 1794.
La notoriété d’Yves Hélory comme prêtre, official et avocat des pauvres, s’est vite développée. Si les biographes font état de légères divergences sur la chronologie (1), tous admettent qu’Yves Hélory a poursuivi ses études jusqu’aux approches de la trentaine. Il fut un étudiant studieux et brillant comme le soulignent plusieurs témoins lors de l’enquête de canonisation (2). Par la diffusion de ses reliques dans toute l’Europe, saint Yves a été rapidement vénéré et promu comme exemple pour les juristes. À l’époque des confréries, Yves Hélory a été choisi comme modèle (3) guide de l’activité des juges, des professeurs de droit, des avocats, en un mot des hommes de loi et même des universitaires (4).
Le Grand Pardon de saint Yves, célébré depuis sa canonisation en 1347, est le reflet de l’influence du Saint sur les juristes. Les célébrations se sont longtemps déroulées le jour de sa naissance au ciel, le 19 mai, avant d’être fixées le troisième dimanche de mai. Les éclipses ont été rares. Arrivé sur le trône épiscopal en 1780, le dernier évêque-comte de Tréguier, Monseigneur Augustin Le Mintier, voulut reporter le Pardon, mais ses démarches échouèrent et l’excellent pasteur n’insista pas (5). Au XIXe siècle le Pardon ne conservait qu’un éclat relatif, mais Monseigneur David, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, a voulu en faire « la fête nationale des Bretons ». En 1874 le prélat offrait une couronne argentée que l’on voit posée sur le chef du saint Yves lors de son exposition aux fidèles. Cette couronne, volée en 1948, figure cependant dans un album paru la même année, reprenant une photographie de l’année précédente (6).
En 1947, après cinq années de guerre qui n’avaient pas permis de rassemblements, le Pardon revêtit un éclat particulier : il fallait célébrer le 600e anniversaire de la canonisation. Le Pape Pie XII avait désigné un représentant en la personne de Monseigneur Roncalli, le futur Jean XXIII. Le Vatican étant un État souverain, le protocole impose la présence d’un membre du gouvernement pour accueillir le représentant du Pape. Le gouvernement a délégué Pierre-Henri Teitgen, Vice-Président du Conseil, et, ce qui avait du sens, Garde des Sceaux.
En 2003 était célébré le 700e anniversaire de la mort du Saint. Le Pape Benoît XVI avait délégué le Cardinal Pompedda, préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, la juridiction suprême de la justice ecclésiastique. Ce fut alors Madame Marie-Hélène Boisseau, Secrétaire d’État aux Handicapés, qui représentait le gouvernement. Le Nonce apostolique et l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège étaient présents.
Ainsi, l’éclat du grand Pardon ne se dément pas. Si la pandémie l’a supprimé en 2020 et en partie en 2021, on peut penser qu’il va connaître une vitalité renouvelée.
Les célébrations du mois de mai sont l’occasion de rassemblements de juristes de tous horizons. En 1936, sous l’impulsion du chanoine Lainé, curé-archiprêtre, au dynamisme reconnu (7), la chapelle latérale qui avait recueilli les restes d’Yves Hélory, a reçu, avec l’appui des barreaux américains et belges, des vitraux comblant la béance laissée par le Bataillon d’Étampes en 1794. Cette célébration fut l’occasion de recevoir la visite, d’un grand nombre d’avocats étrangers, venus notamment de ces deux pays.
Plus récemment le Groupe catholique du Palais, fondé en 1945 à Paris, organise la célébration d’une messe de la saint Yves à la Sainte-Chapelle, et fait régulièrement le déplacement à Tréguier, accompagné de son aumônier. Dans la période récente, les célébrations de mai deviennent l’occasion d’un triduum. Sur la suggestion de Monseigneur Lucien Fruchaud, alors évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, un colloque est organisé depuis 1993, la veille du Pardon, par le Barreau de Saint-Brieuc. Les thèmes choisis ne seraient pas désavoués par Yves Hélory : Justice et liberté (1998), L’éthique, magistrats, avocats, médias (1992), La justice au service de l’enfant (2001) ou plus récemment La responsabilité des gens de justice (2007), La France, terre d’accueil ? (2009), Migration et fraternité à l’épreuve de la réalité (2019).
Ces colloques ont également conduit à organiser à Tréguier, le vendredi, la réunion de la Conférence régionale des Bâtonniers de l’Ouest (CRBO). Celle-ci est composée des bâtonniers que l’on trouve à la tête des ordres d’avocats qui sont constitués dans le ressort des Cours d’appel de Rennes et d’Angers. Ils représentent près de 4 000 avocats. Quant à la Faculté de droit canonique de Paris, conduite par son doyen, elle avait fait de Tréguier, en 2011, à l’occasion du Pardon, le lieu de ses journées d’études.
La production littéraire concernant saint Yves, sa vie, les leçons qu’elle enseigne et les valeurs qu’elle inspire ne cesse pas et il faudrait plusieurs pages pour recenser la bibliographie comme l’a fait le Fonds saint Yves en 2013 (8). Si l’on se borne à l’examen des dix dernières années, on ne compte pas moins de sept publications nouvelles et il paraît impossible de limiter les nouvelles éditions (9).
Le nom de saint Yves, reconnu comme protecteur, fournit une référence pour appeler des institutions nouvelles à l’intérieur de l’Église. Le grand Séminaire de Rennes – où sont également formés les séminaristes de Quimper, Saint-Brieuc et Vannes – a adopté le nom du Saint en 1999. Plus récemment le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier a regroupé tous ses services en un seul lieu, qui est également la résidence de l’évêque, en restaurant l’ancien Grand Séminaire situé dans le faubourg de Cesson. L’inauguration sous le nom de « Maison saint Yves » de ce monument, protégé au titre des Monuments Historiques, a eu lieu en 2017.
Des initiatives récentes sont franchement tournées vers l’action. Un fonds de dotation, dont le siège est à Tréguier, s’est constitué en 2013 sous de nom de Fonds saint Yves. Son esprit est de faire connaître saint Yves, mais plus encore de s’inspirer de ses valeurs. Dans ce contexte, des journées d’écoute et d’informations juridiques se tiennent à Tréguier une fois par mois. Elles connaissent le succès puisque chaque journée voit venir une vingtaine de visiteurs. Ils sont reçus sans distinction d’origine, de croyance ou de revenus comme l’aurait fait Yves Hélory à Kermartin. Cet accueil universel du grand Saint se manifeste dans la reconnaissance de nos contemporains, hors de toute demande d’appartenance à l’Église. Les journées du Fonds saint Yves ont fait l’objet d’une convention en 2020 avec le Centre départemental d’accès au droit (CDAD), ce qui a permis de maintenir cet accès au droit dans la dernière période de confinement imposée par la situation sanitaire.
Plus profanes, des représentations de saint Yves emploient son nom et son image. Elles montrent que dans l’esprit de nos contemporains, la représentation d’Yves Hélory est suffisamment positive pour favoriser le commerce. Même si l’enquête de canonisation montre que le Saint ne buvait que de l’eau fraîche (10), une première représentation de lui sur l’étiquette d’une bouteille de vin a vu le jour au détour des années 1960. Un viticulteur, de l’appellation contrôlée de Savennières – cette petite commune du Maine et Loire qui a donné son nom à l’un des trois grands crus de vin d’Anjou, aux côtés du Bonnezeaux et du Quart-de-Chaume, transformant une pâture en vignoble – s’est inspiré du nom qui figurait au cadastre : Clos de saint Yves. Il ne s’en est remis à personne pour la vignette qui orne le col de la bouteille : un saint Yves, orné d’une auréole, portant le rôlet du procès, largement dimensionné, dans la main gauche. Plus récemment, une jeune brasserie de Tréguier voyait approcher le 700e anniversaire de la mort du Saint, célébration qui entraînerait à Tréguier, un nombre accru de fidèles. Le chiffre 7 inspirait : 700e anniversaire, 7 degrés et 7 céréales. Baptisé « Sant Erwan », la bière a repris l’image d’Yves Hélory extraite d’un tableau de Jean-Baptiste Pigeon, visible dans l’église paroissiale de Louannec, dont saint Yves fut le recteur pendant onze ans. Cette idée d’utiliser la figure d’Yves Hélory a également séduit une distillerie de Larmor-Pleubian, à dix kilomètres de Tréguier. Son whisky, très renommé, « Kornog », porte, sur une étiquette argentée, une représentation du Saint sur une cathèdre, sous-titrée « Sant Erwan ».
En 2020, le Fonds saint Yves, conformément à son objet, a passé une convention avec l’Université d’Angers. Elle concerne plus particulièrement la Faculté de Droit dans sa collation du titre de docteur en droit. Un prix de thèse, doté par le Fonds saint Yves, a été créé, et des thèses seront soumises à un jury sous réserve qu’elles mettent en avant les valeurs promues par saint Yves. Un témoin, dans l’enquête de canonisation, a souligné que le Saint, dans les causes qui lui étaient soumises – à l’exception des cas de mariage et d’autres de même nature, où un jugement était indispensable –, ne rendait qu’une sentence sur trois, préférant la médiation, ce qui montrait le succès de ses tentatives de conciliation (11). C’est dire si le Saint a inspiré les Modes alternatifs de règlement des difficultés (MARD), favorisés par le législateur moderne (12).
Ainsi l’on peut penser que les actions inspirées par saint Yves, par le simple emploi de son nom, ou par l’exemple de sa vie et les valeurs qu’il prônait, ne sont pas prêtes de se tarir. Les célébrations et manifestations habituelles vont reprendre avec une ardeur renouvelée quand les entraves de la crise sanitaire se seront effacées. Quant aux initiatives nouvelles, elles proviennent de l’imagination toujours renouvelée, tant la probité, la sûreté du jugement, l’attention pour les plus démunis, en un mot la charité du Saint provoque l’admiration : « Advocatus, sed non latro, res miranda populo ».
NOTES
(1) Jean-Christophe Cassard, Saint Yves de Tréguier, un Saint du XIIIe siècle, Paris, Beauchesne, 1992.
(2) Jean-Paul Le Guillou (traducteur), Saint Yves de Tréguier. Enquête canonique sur la vie et les miracles d’Yves Hélory de Kermartin qui fut instruite à Tréguier en l’an 1330, Paris, L’Harmattan, 2015.
(3) Yvonne Jouan, « Les confréries de saint Yves », in Armorik n°1, mai 2003, (Perros-Guirec, éditions Anagrammes), p. 73.
(4) Charles-Yves Le Pollès, Saint Yves, Patron des Universitaires, Nantes, A. Bellanger, 1963.
(5) Saint Yves et les Bretons. Culte, images, mémoires (1303-2003), Rennes, P.U.R., 2004, p. 273.
(6) Pierre Guéguen et Joseph Savina, Tréguier et son alentour, Édité par le Syndicat d’initiative de Tréguier, 1948.
(7) Abbé Louis Mahé, Saint Yves, son pardon à Tréguier, Saint-Brieuc, Aubert, 1942.
(8) https/fonds-saintyves.fr.
(9) Benoît Le Roux, Saint Yves, 1248-1303, Versailles, Via Romana, 2012 ; Jean-Paul Le Guillou (traduction), Enquête canonique sur la vie et les miracles d’Yves Hélory de Kermartin, Paris, L’Harmattan, 2015 ; Daniel Giacobi, Prier quinze jours avec Saint Yves, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2016 ; Gaëtan Evrard et Dominique Bar, Saint Yves en bande dessinée, Le Triomphe, 2019 ; François-Christian Semur, Saint Yves de Tréguier, Chemillé-sur-Indrois, Éditions Hugues de Chivré, 2019 ; François-Christian Semur, Saint Yves, Homme de Foi, Homme de Loi, Le Coudray-Macouard, Saint-Léger éditions, 2021 ; Yves Avril et Suzanne de Charnacé, Saint Yves en images, Chemillé-sur-Indrois, Éditions Hugues de Chivré, 2021.
(10) Témoin n° 12, Frère Guillaume Roland, dans Jean-Paul Le Guillou, op. cit., p. 55 ; Témoin n° 18, Guillaume Pierre, dans Jean-Paul Le Guillou, op. cit., p. 61.
(11) Cf. Sigismond Roparz, Histoire de saint Yves, Saint-Brieuc, Prud’homme, 1856, p. 42.
(12) Serge Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2021, §436 s.