Prière à l’Esprit Saint : Esprit Saint, âme de mon âme, je T’adore et je T’aime, éclaire-moi, guide-moi, fortifie-moi, console-moi, indique-moi la route. Je m’en remets, à l’exemple de saint Yves, à tout ce que Tu désires de moi, fais-moi seulement connaître Ta volonté pour éclairer mon chemin. Seigneur Esprit Saint je me tourne vers Toi avec confiance, appuyé sur la prière de ton serviteur saint Yves ; Tu lui as donné en son temps de juger avec équité, d’assister les pauvres. Aussi avec Ton aide, je prends aujourd’hui saint Yves comme modèle de sainteté. Amen.
SAINT YVES, UNE VIE DE SERVICE ET D’AMITIÉ AUX CÔTÉS DES PAUVRES
Par Daniel Giacobi
5 – Saint Yves à contre-courant des « valeurs du monde » pour le service des pauvres
Jésus est non seulement du côté des pauvres, mais partage avec eux le même sort. C’est aussi un enseignement fort pour ses disciples de tous les temps. Pape François – § 3 – Message pour la 5ème journée mondiale des pauvres- 14 novembre 2021-
À Rennes, chez les Franciscains, Yves est saisi : « les divines paroles entendues m’ont amené à mépriser le monde (les mondanités dirait aujourd’hui le pape François) et à rechercher les choses du ciel. » Il entend rejoindre les pauvres dans leur dénuement. Au riche manteau d’official il substitue la robe de bure. Écoutons le témoin 47, Darien de Trégroin, recteur : « il donna aux pauvres l’habit qu’il tenait de l’évêque de Tréguier, comme on me l’a dit, et il prit une cotte et un surcot et un chaperon de gros burell blanc, de grands souliers à courroies, et une chemise de filasse de chanvre grossière et rugueuse, et il porta cet habit jusqu’aux moments de sa mort. C’est dans cet habit que je l’ai vu, et vivant et mort, tant de fois que je ne saurais m’en rappeler le nombre. J’ai entendu dire qu’il portait toute sa vie un cilice. » Le cilice est une chemise sans manche en poils de chèvre durs et râpeux, portée à même la peau en pénitence. Pour le témoin 18, vicaire de Tréguier, Guillaume Pierre : « Il fit choix d’une cotte et d’un surcot d’une étoffe grossière blanche qu’on appelle burell. Il le fit, à mon avis, pour servir Dieu d’une manière plus humble. »
Autre façon de rejoindre les pauvres, c’est la frugalité de son alimentation. Les témoins sont unanimes sur ce point, écoutons le témoin 20, Hamon Toulefflam, de la paroisse de Plestin, ermite de bonne réputation : « Dom Yves était d’une grande austérité et d’une grande abstinence. Comme je l’ai dit, j’ai vécu avec lui et je sais qu’il ne mangeait que du pain grossier et des plantes potagères ou des fèves sans autre condiment … Il buvait de l’eau fraîche. Il ne mangeait qu’une seule fois par jour excepté les dimanches. Ces jours-là, il dînait mais de peu. Il jeûnait au pain et à l’eau trois jours par semaine. Il jeûnait aussi tout le carême au pain et à l’eau. … À ces époques-là, où j’étais pour ainsi dire continuellement avec lui, jamais je ne l’ai vu manger de viandes, fromages ou poissons, ni rien d’autre que ce que j’ai mentionné plus haut, sauf le jour de Pâques. Il marquait cette solennité en prenant un œuf ou deux. A ces mêmes époques je ne l’ai pas vu non plus boire de vin, ni de la cervoise, mais uniquement de l’eau fraîche. Il m’a envoyé une fois à Louannec chercher du pain, parce qu’il n’y en avait plus dans la maison. Je lui en ai apporté. Mais c’était du pain trop délicat, à son avis, et il me dit : « Tu veux avoir des douceurs ? Tu n’as pas trouvé du pain plus ordinaire ? » « J’ai trouvé, répondis-je, du pain de son, qui ne vaut rien pour soutenir un homme ». Yves alors ramassa le pain que j’avais apporté, et me dit de lui apporter le pain grossier que j’avais trouvé. Je le lui apportai, et nous nous mîmes à table, nous et les pauvres autour de nous. » Hamon Nicolay, clerc de la ville de Tréguier, témoin 8, ajoute : « Lorsqu’il nous avait servis, il prenait en notre compagnie du pain grossier de seigle ou d’orge, et des plantes potagères, ou des pois ou des fèves, tantôt préparés avec du sel, tantôt sans sel et sans autre assaisonnement, et il ne buvait que de l’eau. Je sais que les plantes potagères, les pois ou les fèves étaient ainsi préparés parce que je les ai goûtés plusieurs fois, et recrachés comme je fais aux aliments insipides. Dom Yves prenait ces aliments par volonté d’abstinence. »
Beaucoup témoignent aussi qu’il dormait très peu : Yves Avispice qui fut autrefois de façon continue au service de dom Yves Hélory et qui après sa mort vécut en ermite près de Guingamp, raconte : « Dom Yves dormait à peine ou ne dormait pas du tout ni de jour ni de nuit, sauf à être exténué du travail de l’étude ou de la prière ou de la route au point de ne pouvoir veiller. Il dormait alors tout habillé, rarement déchaussé, par terre avec sous lui un peu de paille, et il avait sous sa tête en guise d’oreiller parfois un de ses livres avec une planche, et parfois une pierre. Il couchait ainsi chez lui à Ker Martin, près de Tréguier dans un grenier assez haut. Dans son presbytère de Louannec il se couchait de la même manière sur une claie faite de branches ou de bâtons noueux entrecroisés. Près de son lit de Ker Martin il avait une courte-pointe (= une couverture), pauvre et noire, dont il se couvrait pour étudier et dormir quand il faisait trop froid et pas autrement. »
Vitrail de l’ église Saint Pierre – Montfort-l’Amaury – Yves faisant œuvre de charité.
Yves, comme Jésus, aime jusqu’au dépouillement ; Hamon Nicolay, clerc de la ville de Tréguier, témoin 8, le déclare: « Tout ce que Dom Yves avait ou pouvait avoir, il le dépensait pour donner aux pauvres le nécessaire. Cela, je l’ai constaté plusieurs fois dans l’église de Tréguier, et hors de l’église de Tréguier et à Ker Martin et ailleurs. Bien des fois j’ai constaté que lorsque dom Yves sortait de l’église de Tréguier, des pauvres le suivaient en foule jusqu’à sa demeure de Ker Martin pour recevoir de lui des aumônes. »
Il considère avec indulgence même ceux qui le volent : Guillaume de Karanzan, paroissien de Louannec, témoin 22, raconte : « J’ai entendu les familiers de dom Yves dire que parfois on lui volait du blé de sa maison, et qu’il supportait cela patiemment. Et quand on lui disait : «Messire, fulminez donc contre eux des condamnations. » « Laissez-les, répondait-il ; le seigneur Dieu les corrigera ; ces gens-là en avaient davantage besoin que moi, car je suis, moi, plus riche qu’eux ».
L’amour des pauvres consume Yves, il est prêt à tout donner : Derrien de Bouaysalio, de la paroisse de Kermaria Sulard, témoin 44, se souvient de cet échange : « J’ai vu Dom Yves faire aux pauvres de nombreuses aumônes, et il leur donnait tout ce qu’il avait ou pouvait avoir… J’ai vu dom Yves une année faire battre rapidement les blés de ses moissons et les distribuer aux pauvres. C’est alors, en ma présence, qu’un certain Alain de Carbon, de la paroisse de Louannec, lui dit qu’il manquait de prudence à livrer ainsi son blé à cette époque-là, car, s’il le gardait en réserve, il en tirerait davantage. Dom Yves répondit devant moi à cet Alain : «Je ne suis pas certain d’être en vie à ce moment-là ». J’ai vu et entendu dom Yves, l’année s’étant écoulée, demander à notre Alain combien il avait gagné en mettant de côté pour lui le blé de l’année précédente. Ce dernier lui répondit : « J’ai gagné le cinquième. » « J’attends un plus grand profit, lui dit dom Yves, de mon blé que j’ai livré à l’époque des moissons ».
Denys Jameray, citoyen de Tréguier, témoin 32, donne un témoignage très circonstancié : « Tout ce qu’il pouvait avoir il le distribuait aux pauvres. Voici des preuves. Ceci advint une fois aux alentours de la fête de la Bienheureuse Marie-Madeleine. Une grande famine sévissait à cette époque, et dom Yves n’avait plus rien à donner aux pauvres, alors qu’ils étaient venus plus nombreux le trouver à Ker Martin en quête d’aumônes. « Je n’ai pour le moment, leur dit-il, rien à vous donner ; mais allez dans mon verger et voyez si les fèves qui s’y trouvent sont bonnes à manger, et, si elles le sont et qu’elles vous conviennent, cueillez-en à volonté et rapportez-moi les gousses ici à mon hôtellerie pour les faire cuire, et vous qui êtes de cette ville portez-en à vos hospices autant qu’il sera nécessaire » . Le lendemain les pauvres de la ville de Tréguier allèrent à ces fèves, plusieurs aussi des localités d’alentour, si bien qu’en trois ou quatre jours les pauvres et les voisins eurent mangé et emporté les fèves … Une certaine année de grands froids sévissaient, et c’était entre la fête de Noël et le carême. Bon nombre de pauvres vinrent le trouver, disant qu’ils étaient absolument transis de froid et engourdis. « Si vous ne nous aidez pas, nous n’avons rien pour nous chauffer ». « Je n’ai pas de bois de chauffage à vous donner, leur dit dom Yves ; mais allez dans tel de mes champs où il y a des bruyères. Prenez-en à votre convenance, et laissez le reste pour d’autres qui en auront également besoin ». J’ai entendu dom Yves recommander aux pauvres de prendre des bruyères pour leurs besoins et je les ai vus en prendre et en emporter. Un vendredi tandis qu’il revenait de La Roche-Derrien, diocèse de Tréguier, où il avait prêché la parole de Dieu, dom Yves rencontra un pauvre à peine vêtu et transi de froid, qui lui demanda l’aumône. « Viens chez moi, lui dit-il, et je te ferai donner du pain ». – « Hélas ! dit le pauvre, je ne suis pas en quête de pain, car je ne pourrais pas le manger. Je cherche quelque bout de vêtement à me mettre pour ne pas mourir de froid ». Emu de pitié, dom Yves avisa une maison, y entra, se défit de la cotte blanche qu’il portait et, hélant le pauvre, il la lui remit. Aussitôt rentré chez lui en toute hâte, il envoya quelqu’un à Tréguier chez Rivalan Le Folent chercher trois aunes de burell blanc pour se faire une cotte. J’ai vu le pauvre dont il s’agit revêtu de cette cotte et c’est lui qui m’a dit l’avoir reçue de dom Yves. Ayant vu bien des fois cette cotte j’ai bien reconnu qu’il s’agissait de celle de dom Yves. »
Geoffroy de Saint Léan, témoin 5, recteur de La Roche-Derrien, fut le confesseur d’Yves : « À même sa peau Yves portait un cilice. Voilà comment je l’ai vu bien des fois. Quant au cilice, si je l’ai vu c’est que parfois dom Yves mettait sa main dans sa poitrine par l’ouverture du col pour y rentrer les poux, et il disait alors que sa poitrine était une réserve à poux. C’était alors que le cilice apparaissait. » Voilà encore une façon pour Yves de rejoindre les plus misérables, la pénitence est de supporter les démangeaisons. Nous voilà choqués, cependant, au Moyen-Âge, tout le monde, du roi aux vagabonds, grouillait de vermine, rappelle Camille le Doze, historienne française s’intéressant aux rapports entre l’homme et ses parasites. À l’époque, il était fréquent de dormir dans un lit commun à l’auberge, par exemple, ce qui favorisait les infestations. La littérature, la poésie et les toiles de l’époque évoquent d’ailleurs de nombreuses scènes d’épouillage à la maison ou en public. « Cela faisait partie de la sociabilité. Il y avait énormément de tendresse dans ces scènes », note Mme le Doze. C’est seulement entre les XVe et XVIe siècles que le pou a commencé à jeter l’opprobre sur son hôte. « Il y a eu une civilisation des mœurs et une volonté des puissants de se distinguer du reste de la population. Ainsi est née toute une littérature de bienséance dans laquelle on indique qu’il est infamant de chercher ses poux en public » explique Mme le Doze. « Mais on trouve encore ces directives dans les codes de civilité du XVIIIe siècle. Si on continuait de le dire, c’est que les gens le faisaient quand même! » Si le fait d’avoir des poux est souvent mal vu encore aujourd’hui, c’est en raison de ces fameux codes, note Mme le Doze.