Prière à l’Esprit Saint : Esprit Saint, âme de mon âme, je T’adore et je T’aime, éclaire-moi, guide-moi, fortifie-moi, console-moi, indique-moi la route. Je m’en remets, à l’exemple de saint Yves, à tout ce que Tu désires de moi, fais-moi seulement connaître Ta volonté pour éclairer mon chemin. Seigneur Esprit Saint je me tourne vers Toi avec confiance, appuyé sur la prière de ton serviteur saint Yves ; Tu lui as donné en son temps de juger avec équité, d’assister les pauvres. Aussi avec Ton aide, je prends aujourd’hui saint Yves comme modèle de sainteté. Amen.
SAINT YVES, UNE VIE DE SERVICE ET D’AMITIÉ AUX CÔTÉS DES PAUVRES
Par Daniel Giacobi
L’avocat et le juge au service des pauvres.
Comment peut-on apporter une réponse tangible aux millions de pauvres qui trouvent souvent comme seule réponse l’indifférence quand ce n’est pas de l’agacement ? Quelle voie de justice faut-il emprunter pour que les inégalités sociales puissent être surmontées et que la dignité humaine, si souvent bafouée, soit rétablie ? Pape François – § 6 – Message pour la 5ème journée mondiale des pauvres- 14 novembre 2021-
Raoul Portier, clerc de Lanmeur, diocèse de Dol, témoigne : « Dom Yves aimait beaucoup la justice. Ainsi tout le temps qu’il était l’official de Tréguier, il rendait une prompte justice aux parties engagées en procès devant lui comme tous le disaient dans le milieu des juristes de la cour de l’évêque de Tréguier devant moi qui écoutais. »
Sans contester l’ordre établi, il s’en tient strictement à la loi – n’imaginez pas Yves en justicier définissant lui-même la loi -. Non la loi du temps, il l’applique avec précision, au plus près des textes, sans passe-droit ni favoritisme ; il le fait en toute justice, sans tenir compte du rang des personnes ni de leurs moyens, pourvu que leur cause soit juste, et soulignent souvent les témoins, il rend « prompte justice ».
La maxime qualifiant saint Yves est célèbre : « Sanctus Yvo erat Brito, Advocatus, et non latro, Res miranda populo! » « Saint Yves était breton, avocat mais pas voleur, chose admirable pour le peuple ! »
La formule en dit long sur l’état de la justice et la qualité des avocats et hommes de loi; il suffisait à l’époque d’un maigre bagage intellectuel pour se prétendre avocat ; la formation d’Yves était exceptionnelle. Les témoins sont unanimes pour souligner qu’il était prêt à soutenir, souvent gratuitement, les causes de chacun, quel que soit son état social, pourvu que la cause fût juste. Geoffroy Jubiter, recteur de l’église de Trédrez, témoin 30, explique : « Dom Yves s’occupait à soutenir et à défendre les pauvres, les veuves et les orphelins et il prenait en main leurs justes causes de très grand cœur et pour rien. J’ai vu un pauvre, noble, il s’appelait Richard Le Brouz, il était de la paroisse de Trédrez. Ce noble était en procès avec l’abbé de la Bienheureuse Marie du Relecq, au diocèse de Léon. Or sa pauvreté l’empêchait de poursuivre son procès. Il s’en vint donc trouver dom Yves, le suppliant pour Dieu et par bonté de l’aider et de le soutenir dans son bon droit contre cet abbé qui cherchait à lui enlever sa terre ; il ne pouvait se défendre car il était vidé, pour ainsi dire, de toute sa substance. Dom Yves lui demanda : « Votre cause est-elle juste ? » « Oui, répondit-il, je le crois et je suis prêt à vous en donner l’assurance par serment ». Ce qu’il dut faire, avant que dom Yves ne voulût s’engager dans son procès. Mais le serment prononcé, dom Yves se mit aussitôt à conduire le procès du pauvre, et il le mena jusqu’à sa conclusion au profit de notre pauvre, dont il défendait le bon droit. Voilà ce que j’ai vu. »
Nombreux sont les témoins qui rapportent son soutien à la veuve et à l’orphelin, Yves reste aujourd’hui encore leur protecteur. Écoutons Jean de Kerc’hoz, clerc et jurisconsulte, paroissien de Pleubian, témoin 1, qui fut le précepteur de saint Yves : « Dom Yves fut bon et sensible à la pitié. En effet il plaidait en justice gratuitement pour les pauvres, les mineurs, les veuves, les orphelins et toutes les autres personnes malheureuses ; il soutenait leurs causes ; même sans être demandé il s’offrait à les défendre, si bien qu’on l’appelait partout l’avocat des pauvres et des malheureux. » Yves Suet, clerc de La Roche-Derrien, témoin 3, complète le tableau : « J’ai vu dom Yves official de l’archidiacre de Rennes, et plus tard official de l’évêque de Tréguier, et avocat en la cour de Tréguier. Dans ces fonctions il se comportait en homme de bien, avec justice et bonté. Dom Yves était gratuitement le défenseur et le protecteur des veuves, des orphelins, des mineurs et des autres malheureuses personnes. Je l’ai vu et entendu plusieurs fois se présenter devant des personnes malheureuses en disant : « Je t’aiderai pour Dieu ». Et je me souviens en particulier d’une certaine veuve Levenitz, de la paroisse de Pommerit qui se trouvait en procès avec un usurier du même endroit nommé Rivalon Bardoul, à propos d’un certain jardin ou « courtil ». Dom Yves mena le procès de Levenitz jusqu’à sa conclusion, gratuitement. J’étais là en personne, connaissant et assistant cette femme puisqu’elle était de ma famille. »
On souligne qu’il cherchait toujours à établir la conciliation et la réconciliation.
Aussi dans les nombreuses auberges que comptaient Tréguier ainsi que dans les maisons d’hôtes louant des chambres, les récits sur les mérites de la justice d’Yves faisaient la joie des veillées au coin du feu. On racontait comment, à Tours, il avait confondu deux malfrats qui avaient tenté de berner une aubergiste sans méfiance ou encore l’affaire du rôtisseur de Tréguier. Ces récits ne sont pas dans les témoignages mais ont forgé le renom d’Yves. Écoutons l’écrivain Henri Queffélec raconter l’histoire du rôtisseur dans son livre sur saint Yves : « On racontait l’histoire de ce pauvre hère cité au tribunal par un rôtisseur car il s’était tenu plus d’une demi-heure devant la rôtisserie pour humer les fumets des volailles.
– À combien, rôtisseur, évalues-tu le préjudice ? dit Yves – Un écu.
– Aurais-tu un écu ? demande Yves au prévenu tremblant.
– Oui. Un. Après je n’ai plus rien. – Donne-le-moi.
Yves appelle le plaignant qui déjà bombe le torse. – Viens ici, baisse-toi, sens de toutes tes forces. L’autre obéit. Yves lui met la pièce d’or sous les narines.
– Tu as bien senti ? – Ça ne sent pas tellement. – N’empêche que te voilà payé. Tu peux t’en aller. Le prévenu t’avait pris l’odeur de tes volailles, toi tu lui as pris l’odeur de sa pièce d’or. Et Yves restitue l’écu au malheureux bougre qui le bénit et lui baise la main. »
Groupe sculpté, église du Minihy
Il existe des dizaines de représentations (sculptures, peintures, vitraux) de Saint Yves entre le riche et le pauvre, elles apparaissent au 15e s. et obéissent aux mêmes conventions : le riche en habits d’apparat reste couvert devant saint Yves, parfois la bourse à la main pour tenter de corrompre Yves qui le repousse ; quant au pauvre, en habits de travail, il se découvre avec respect, attentif aux paroles d’Yves qui tient en main le « sac à procès » ou sa Bible.
Plus les années passent, plus la paix qui émane de sa personne, de ses paroles comme de ses attitudes, prend de la consistance. Ce cheminement intérieur est à mettre en relation avec son itinéraire spirituel de conversion. Le chevalier de Pestivien le dit avec conviction : « Dom Yves fut un homme très pacifique et très paisible. Il parlait peu en effet, sauf pour s’entretenir de Dieu et prononcer les paroles du salut ; il ne se mettait pas en colère mais se tenait pacifique et paisible, et ses paroles il les prononçait avec bienveillance et patience ; il écoutait parler les autres avec un cœur paisible … je l’ai vu souvent converser ainsi. il a été official de Tréguier, … amenant les plaignants à la paix et à la concorde. – Et il insiste – Je crois que dom Yves fut un grand artisan et « restaurateur » de paix.» (T.4)
Groupe de la cathédrale de Tréguier
Dame Oliva, veuve du seigneur Olivier Charruel, se rappelle comment « dom Yves s’est chargé gratuitement du procès qu’un pauvre avait contre le seigneur Olivier, mon mari, et il les a mis d’accord, après une longue contestation. » (T.33) Ou Alain Soyan, de Tréguier : « Sa compassion fut grande envers les mineurs, les orphelins, les veuves et les autres malheureuses personnes…il exerçait sa compassion à leur égard, leur portait secours en les conseillant, en les guidant, et en plaidant pour eux. » (T.6)
Chaque jour le pasteur grandit un peu plus alors que s’efface l’homme de loi. L’acte judiciaire est perçu par Yves comme un lieu de rencontre des personnes, un lieu où peut se faire au plus profond des consciences cette rencontre avec l’Unique, avec le Tout-Autre qui est aussi le Tout-Proche, l’acte judiciaire devient le lieu d’une conversion qui peut changer une vie, le lieu de la réponse au divin « suis-Moi », au divin « descends de ton arbre », l’arbre de tes certitudes, l’arbre de ton bon droit qui te sépare de l’autre. C’est l’heure de l’Esprit Saint. « Nous ne voulons d’autre paix que celle que nous donneront le droit et la justice » clamait Geoffroy de l’Ile, « je vais célébrer la messe du Saint- Esprit » lui répondait Saint Yves et Geoffroy de témoigner en 1330 : « Il m’apparut que les prières de dom Yves avaient changé nos dispositions intérieures et que Dieu voulait faire la paix entre nous sur cette affaire par dom Yves. » (T.12-13) Ce qui importe désormais à Yves, ce n’est plus de gagner promptement un procès, c’est d’établir paix, concorde et réconciliation, c’est le salut des âmes, le salut des pécheurs, c’est de conduire le troupeau des brebis sur le chemin escarpé de la conversion.
Et quand, sous le poids des ans, des fatigues et des veilles accumulées, en 1300, trois avant sa mort, Yves doit renoncer à une part de ses charges, c’est la fonction d’official de l’évêque de Tréguier qu’il abandonne. Il reste recteur de Louannec jusqu’à sa mort. L’homme de justice s’est effacé derrière l’artisan des conciliations, derrière le pasteur attentionné des âmes.
Tout cela fait l’actualité du message de saint Yves, attire de nombreux avocats et hommes de loi à son Pardon le 3ème dimanche de mai, et conduit tant de personnes à demander l’intercession de saint Yves.